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Abbé DIDIER d'Auray

Lettre témoignage adressée par le prêtre Louis DIDIER

qui attendait son rapatriement après la libération du camp de Dachau le 29 avril 1945.

Né le 20 septembre 1899 à Auray, ordonné prête le 16 mars 1924 à Vannes, recteur d’Ambon le 8 janvier 1944, Louis DIDIER a été arrêté le 18 mars 1944 et déporté à DACHAU dans le convoi parti le 4 juin 1944 de Compiègne, convoi emportant 2062 hommes dont 973 sont morts ou ont disparu dans les camps de concentration.

A son retour de déportation, il a été recteur de Sainte Anne d’Arvor à Lorient . Il a remis ce témoignage à ses paroissiens sous le titre “ Seulement prêtre malgré les S.S”. Il est décédé le 20 août 1986 à Vannes et a été inhumé au cimetière d’Auray .

Camp de Dachau en la fête de l'Ascension 1945
cher Monsieur le Curé

Vous aurez déjà su sans doute - je pense - que je suis encore en vie, mais que je n'ai pu vous écrire plus tôt ( du temps de la domination nazie, il n'en était pas question ) faute de papier et d'enveloppes.

Peu à peu, tout s'organise, même paraît-il le service postal . Mais à toute organisation, nous aurions préféré un rapatriement immédiat. Il nous tarde, je vous assure de revoir la France, d'autant que nous continuons de vivre ici dans des conditions précaires : les blocks sont surpeuplés et il nous est impossible de maintenir un minimum d'hygiène. Enfin, nous espérons que vers la fin du mois, nous aurons pris , en avion, dit-on le chemin du retour.

Cela me fera une année complète de séjour en Allemagne, une armée qui comptera comme poids sur mon épaule. Puisse-telle me compter autant au regard du Bon Dieu.

Vous vous rappelez ce soir de mai, l'année dernière; c'était le 30 je crois où vous nous avez fait à Mr Régent et à moi, cette ultime visite sur le quai de la gare.

A ce moment, je vous affirme que ni l'un ni l'autre nous ne nous doutions du sort qui nous attendait. Nous pensions toutefois être transférés à Rennes pour notre jugement, qui n'a jamais été prononcé du reste, ou peut-être à Fresnes ou dans un camp en France, à Troyes par exemple comme l'ami Le Bras. Mais si l'idée de l'Allemagne nous avait traversé l'esprit , nous ne l'avons pas retenue, pensant toujours qu'auparavant nous serions jugés.

Nous ne connaissions pas encore les Allemands et leurs méthodes. Depuis lors il n'y a plus rien à nous apprendre sur ce sujet.

Quand nous avons vu à Rennes que nous continuons sur Nantes, nous avons commencé à devenir de plus en plus perplexes et c'est en pleine incertitude que nous sommes arrivés à Paris, toujours enchaînés, ce qui faisait sensation sur les quais de Motparnasse, à ce point qu'un officier Allemand, soucieux sans doute d'éviter cette propagande à rebours est intervenu et nous a fait désenchaîner.
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Dans l'après-midi, nous partions pour Compiègne. C'est là seulement par les camarades que nous avons su que nous étions destinés au Grand Reich.

Là à Compiègne, j'ai rencontré une vingtaine de confrères dont le Père Guenaél de Tymadeuc, et j'ai eu la joie le vendredi et le samedi de célébrer la sainte messe, dernière fois pour des mois.

Car si nous avons bien été munis tous officiellement et avec autorisation en règle d'autels portatifs (hypocrisie supérieure de ces messieurs ) nous n'avons pu nous en servir pour la bonne raison qu'ils nous ont été enlevés dès notre arrivée en Allemagne.

Le dimanche, fête de la Sainte Trinité, notre convoi a quitté la France.

Nous étions 2400 répartis dans des wagons à bestiaux hermétiquement clos. Voyage épouvantable. Trois jours et trois nuits sans eau. Plusieurs morts, plusieurs cas de folie. Dans les wagons où il y avait des évasions, les autres étaient dévêtus et continuaient le voyage absolument nus

Et c'est ainsi, dans un triste état, que nous sommes arrivés au camp de Neuengamme près de Hambourg, véritable camp d'extermination comme tant d'autres.

A l'entrée, nous sommes reçus à coups de trique par les SS. La vue d'une soutane les rend enragés et ils s'acharnent. Heureusement, pour notre réconfort, nous sommes à peine rangés sur la place d'appel, cette fameuse place où nous ferons ainsi souvent des rassemblements de plusieurs heures dans le froid et sous la pluie, que nous apprenons l'heureux débarquement effectué la veille par les Alliés.

Et puis dans la nuit, c'est le dépouillement. On nous enlève tout, cheveux et poils compris, et on nous revêt sommairement de défroques sordides, semblants de chemise et de caleçon, pantalons et vestes en lambeaux, rien aux pieds, que des claquettes en bois qui ne tiennent pas aux pieds. Il fait bien froid malgré la saison et je me demande comment il n'y a pas davantage à. mourir de congestion.

Au bout d'une quinzaine commencent les départs en kommandos de travail à l'extérieur. Le choix se fait par les SS. Ce sont de véritables marchés à esclaves. A chaque fois, il faut se mettre tout nus et défiler devant ces messieurs qui jugent d'un coup d'oeil si l'on peut produire quelque chose pour le travail prévu. Au début, juifs, prêtres et médecins sont éliminés de ces transports.

C'est ainsi que Mr Régent, pour la première fois et de bon malheureusement, est séparé de moi.

Vers le 6 ou 7 juillet ( je ne sais plus trop ) il part pour les kommandos, mais comme tout est secret, je n'ai jamais pu savoir vers quelle destination.

Nous avons le cafard tous les deux: nous ne nous sommes jamais revus depuis et je n'ai jamais pu savoir ce qu'il est devenu. J'espère qu'il aura tenu le coup, mais il n'était pas d'une santé très robuste, et au travail, au camp, il fatiguait déjà beaucoup.

Moi aussi du reste, surtout au début. Après, je me suis fais un peu: il a bien fallu.

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Dans la semaine qui a suivi son départ, l'interdiction concernant les prêtres a été levée, et au transport après le sien, presque tous les confrères sont partis.

J'ai été éliminé sous les sarcasmes de l'officier SS. Deux jours après, je suis parti à mon tour, seul prêtre, pour un kommando de travail à Porta Wesphalica, près de Minden, sur les bords de la Weser. J'y ai vécu du 15 juillet au 21 novembre. Travail d'évacuation de terre et de pierres pour le creusement de galeries en vue de l'aménagement de deux usines souterraine à flanc de colline.

Travail très dur , à raison de 12 heures de jour ou de nuit, alternativement par semaine.

Lever avant 4 heures, coucher jamais avant 10 heures. Vie épouvantable dans un block où nous sommes 1500, où à chaque instant, quand nous ne sommes pas au travail, il faut se rassembler pour un appel. Vie abrutissante en soi.

Privé de tout, privé de sacrements, de messes, de tout confrère.

Le Bon Dieu m'a fait la grâce de tenir, merveilleusement, en union amicale avec lui.

Jamais je n'ai tenu aussi bien que pendant ces mois: j'en ai offert des heures et des journées de travail pour ma paroisse, la paroisse St Pierre, mon diocèse, ma famille, tous ceux qui me sont chers, comme vous monsieur le Curé et mes anciens confrères de la Cathédrale: travail en silence, sans arrêt, sans répit, en équipe souvent avec des Russes qui vous bousculent, travail du dimanche comme les autres jours.

Oh ce travail du Dimanche, comme il m'a coûté ! Comme j'en ai souffert, tous ces dimanches d'été surtout, où quand j'allais poussant mon wagonnet, sur la plate-forme d'évacuation, j'entendais sonner les cloches de la petite église.

Et ça a duré jusqu'au 21 novembre. Ce jour-là, j'ai reçu l'ordre de rejoindre immédiatement le camp. On m'y a ramené dans la nuit.

Le lendemain et les jours suivants, sont arrivés d'autres confrères des différents kommandos.

Au camp, nous avons encore travaillé au chargement des briques dans les péniches et les camions. Si ce travail avait duré encore, nous y serions tous morts.

Le Père Frossard ( qui était à St François en 43 ) y a été épuisé et il a fallu l'hospitaliser. Je ne sais ce qu'il est devenu. Nous avons fait ensemble une neuvaine à la Sainte Vierge: elle nous a exaucés et le soir du 7 décembre, aux premières vêpres de sa fête, on nous a fait savoir que désormais, nous ne travaillerions plus.

Et quelques jours plus tard, nous arrivons à Dachau. Tous ces camps ont mauvaise réputation, et les méritent amplement. Vous pouvez croire tout ce qu'on vous dira de pire à ce sujet

C'est encore probablement en dessous de la vérité, car il y avait toujours chez Himmler et ses suppôts les SS la volonté perverse de faire souffrir le plus possible de détenus. Et pourtant, pour nous

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qui arrivions de Neuengamme, Dachau a paru un petit paradis. Ici nous n'avons plus travaillé, nous n'avons plus été frappés, surtout nous étions unis entre prêtres en deux blocks spéciaux. En janvier nous étions environ 1400 prêtres, dont la moitié de polonais.

Et enfin, nous avions une chapelle avec possibilité d'assister à la messe tous les jours et de communier. Nous avions même messe pontificale aux grandes fêtes, par monseigneur de Clermont d'abord, puis par le RP bénédictin abbé de Bellac.

Malheureusement, à partir de décembre, le camps a été frappé de l'épidémie du typhus: ravages épouvantables ( 10000 morts du 1 janvier au 1 avril ) aucun remède et entassement volontaire des hommes les uns sur les autres dans des conditions épouvantables.

Fin janvier, on a demandé des volontaires parmi les prêtres pour aller s'occuper des malades dans les blocks contaminés. Je me suis présenté et suis ainsi entré dans les blocks fermés: pour la première fois, j'ai pu exercer parmi tous ces malheureux mon rôle de prêtre très consolant et très réconfortant pour tous ces malades jusque là abandonnés.

Mais à mon tour, comme tous ces confrères des autres blocks contaminés, j'ai été atteint par le terrible mal. Pendant un mois, j'ai été entre la vie et la mort J'avais reçu l'extrême onction d'un confrère polonais.

Aucun Français ne pouvait me joindre, car aucun étranger au block n'y était admis. J'étais prêt et avais fait de mon mieux le sacrifice de ma vie et puis le Bon Dieu n'a pas voulu de moi cette fois-ci.

Mais je suis sorti de là très affaibli ( 42 kilos )et s'il avait fallu évacuer le camp comme c'était prévu au moment de l'approche des Américains, je ne serais pas je crois allé bien loin. Dieu merci, cette évacuation n'a pu avoir lieu et nous avons été libérés le dimanche soir 29 avril . Vous pensez quel soupir de soulagement nous avons poussé !

Et encore à ce moment-là, nous ne savions pas à quel danger nous avions échappés et que l'ordre donné par Himmler au commandant du camp de ne laisser aucun de nous tomber vivant aux mains des des Américains .Mais le commandant n'a pas exécuté l'ordre et c'est ainsi que nous avons été sauvés.

Mais un peu partout, parmi les kommandos rentrant au camp , et dans les colonnes d'allemands et de russes déjà mises en route pour l'évacuation, il y a eu des exécutions en masse par les SS.

Et voilà où nous en sommes: libérés, mais impatients de rentrer Or les autorités freinent les départs et cela crée des mécontentements. Certains s'en vont sans attendre qu'on les rapatrie. On dit que le Père Fily, ( grand personnage ici et membre important du comité français) serait parti hier matin.

En tous cas ,il n'a pas été vu de toute la journée. J'avais été heureux - vous pensez - de le trouver en arrivant ici, ainsi que le Père Rio des missions d'Haïti ( mon ancien élève de Ste Anne) et originaire de Pluméliau . Tous les deux ont été très chics pour moi, et m'ont rendu maints services vestimentaires et alimentaires surtout à mon arrivée au camp et après mon typhus.

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Pour moi, j'attends encore; j'espère que ça ne durera pas trop longtemps et que pour la fin du mois, j'aurai revu Vannes et Ambon.

A propos d'Ambon, je ne sais pas si c'est toujours Mr Le Vaillant qui me remplace ou si un autre a été désigné depuis l'année dernière. Car on m'a dit qu'il avait de la peine à assurer le service.

Je pense qu'à mon retour, après quelque temps de repos, je pourrai m'y remettre assez rapidement.

Et vous-même et les confrères à la Cathédrale, qu'êtes-vous devenus pendant toute cette année? Vous ne vous imaginez pas quelle souffrance c'est de ne rien savoir, de ne connaître aucune nouvelle pendant des mois., surtout pendant des mois comme ceux qui ont suivi mon départ et où on se battait chez nous. Mais il nous avait interdit même de donner notre adresse.

Je suis un peu rassuré maintenant au sujet de ma famille: l'autre jour dans un deuxième numéro des Messages, si heureusement édité par l'aumônerie, j'ai eu la satisfaction-de lire dans un message de Mme Régent à son mari, que nos familles, la sienne et la mienne étaient en bonne santé. Elle nous croyait sans doute toujours ensemble. Malheureusement, comme je vous le disais, il y a des mois que nous avons été séparés et j'ai bien hâte de savoir ce qu'il est devenu.

J'arrête tout ce décousu que vous aurez peut-être beaucoup de peine à lire. ( J'écris à demi plongé, sur mon grabat de l'étage supérieur)

Priez pour tous ceux qui attendent et commencent à s'impatienter.

Dites mon amitié à vos chers vicaires: Mr Le Bec, Mr Le Magueresse. Sont-ils toujours à Vannes ? Ne sont-ils pas chefs de paroisse ? Dites à Mr Le Magueresse que j'ai ici un de ses anciens pauvres gens de Gourin : un nommé Le Guern qui a un bec-de-lièvre.

Et veuillez agréer, cher Monsieur le Curé, l'expression de mes sentiments très affectueux, sinon respectueux.


Louis Didier camp de Dachau Block 25 / 1

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