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Les 13 et 14 mars 1944, une chappe de terreur s'abat sur Vannes et le Morbihan.

L'ennemi était bien renseigné. En deux jours une trentaine de Résistants sont arrêtés.

Le réseau "Alliance" est totalement détruit. Le réseau "Armée Secrète " patiemment mis en place par le Chef de bataillon Guyaudot de la gendarmerie est décapité. Cinq de ses hommes dont le lieutenant Guillo de Ploërmel sont arrêtés.

Le général Audibert chef de L'A.S. pour le Morbihan et son agente de liaison Agnès de Nanteuil sont entre les mains de la gestapo, du  contre-espionnage allemand et des traitres français au service de l'ennemi.

Comment une telle catastrophe a-t-elle pu se produire en si peu de temps ?

 

LA RESISTANCE DANS LE MORBIHAN.
MARS 1944. Destruction du réseau « Armée secrète »
«Le Morbihan en guerre» de Roger Leroux (noté RL) et «Agents du Reich en Bretagne » de Kristian Hamon (noté KH) sont deux livres qui ont été écrits sans complaisance par deux historiens à la recherche de la vérité historique. Réalisés à partir de documents conservés aux archives : P.V. de gendarmerie, d’interrogatoires lors des procès, de dépositions, témoignages de survivants, ils nous permettent de mieux connaître et pour certains de découvrir la période trouble de l’occupation de la Bretagne avec d’une part le courage, les actes héroïques de Résistants mais aussi le comportement anti-Français, la trahison, la lâcheté de traîtres qui avaient choisi de se mettre au service des Allemands.
A partir d’extraits recueillis dans ces deux livres et après avoir évoqué les évènements qui précédèrent l’arrestation des patriotes et des principaux responsables du réseau « Armée Secrète », nous avons relevé l’incompétence, la naïveté et les graves imprudences de deux Résistants occupant des postes importants dans l’Etat-Major de l’A.S. Tout est parti d’une grave erreur commise par le « colonel Morice » qui succéda au chef de bataillon Guillaudot à la tête de l’Armée Secrète. Il choisit comme responsables de son 2ème bureau, les deux responsables du réseau « Alliance » du département. Leurs graves imprudences, inadmissibles de la part de résistants confirmés, occupant des fonctions importantes, entraînèrent une succession d’évènements dramatiques qui frappèrent de nombreuses familles morbihannaises et qui eurent pour conséquence la destruction de « l’Armée Secrète », en mars 1944.
La situation dans le Morbihan au début de l’année 1944.
« Au début de l’année 1943, le mouvement « Libé-Nord » s’implante dans le département autour de Francis Le Penven, du capitaine de vaisseau Eugène Desforges et son épouse, de Joseph Rollo, directeur d’école à Auray et d’Armand Le Bérigot, alias « Cadoudal », un ancien gendarme bien placé pour recruter dans les milieux de sous-officiers et d’officiers de carrière et de réserve. » (KH) « Le Bérigot va ensuite intégrer le réseau «Action » de la « France Combattante » que dirige Maurice Guillaudot qui a pour adjoint Paul Chenailler. » Le général Allard commande la zone M2 (Bretagne) de l’A.S. (Armée Secrète). Son adjoint pour le Morbihan est le général Audibert qui applique les directives du Délégué Militaire Régional du général de Gaulle : Valentin Abeille, un ancien sous-préfet qui est arrivé de Londres. Il organise le regroupement de réseaux de la Résistance morbihannaise qui commencent à fusionner dès la fin 1943, pour former l’ « Armée Secrète » (AS) sous le commandement Maurice Guillaudot, commandant de la gendarmerie dans le département qui fut remplacé, après son arrestation le 10 décembre 1943, par son adjoint le capitaine de frégate Paul Chenailler (colonel Morice) qui va poursuivre le regroupement des réseaux au sein de l’A.S. « Parmi ces réseaux se trouve « Alliance » dont le responsable pour la Bretagne est André Coindeau, ingénieur à la Direction des Travaux maritimes à Nantes qui installe Emile Audran, agent technique des travaux maritimes à Lorient comme responsable départemental pour le Morbihan. Ce dernier recrute Auguste Vigouroux, un ancien camarade de l’arsenal de Lorient qui devient son adjoint. » (KH)
« A la fin de décembre 1943, Coindeau et plusieurs membres de son groupe sont arrêtés. Recherché, Emile Audran va se réfugier à Vannes chez Auguste Vigouroux qui le conduit chez Madame Desforges qu’il connaît et qui réside sur l’île de la Jument dans le Golfe du Morbihan. Mme Desforges présente et recommande Audran et Vigouroux à Chenailler qui poursuit son regroupement de réseaux et l’organisation de l’Etat-Major de l’AS. Paul Chenailler, le «colonel Morice» nomme Audran chef de son 2° Bureau avec Vigouroux comme adjoint, après leur avoir donné l’ordre de ne plus avoir de contacts avec «Alliance»,
leur ancien réseau» (KH ) «Ils continuèrent à avoir des relations avec des Résistants du réseau « Alliance » d’Hennebont-Lorient, en particulier avec Suzanne (Suzanne Huet), une jeune fille de 20 ans, dactylo aux Travaux maritimes d’Hennebont qui est l’agent de liaison entre Audran et Poulichet.» (RL).
« Au même moment, Audran noue une amitié avec un nommé «Jean Laroche» qui lui fait croire qu’il est un agent double. Audran est alors convaincu de posséder en « Laroche » un informateur de premier choix et le met au courant de ses activités. «Jean Laroche» s’appelle en réalité Claude Laboriaux né en 1916 à Paris. » (KH)
Paule Sizun, ancienne agent de l’Abwehr de Quimper qui été mutée à Vannes témoigna : « Laroche » était l’un des agents les plus actifs de Schroëder. Il venait tous les deux jours au bureau du 18 rue du port (bureau du contre-espionnage), accompagné de « Marly ». Il était en relation directe avec Schrade, le grand chef de Rennes. Il possédait de faux papiers attestant qu’il était ingénieur en aéronautique. A l’abri de cette couverture, il faisait de l’espionnage. « Marly » était le pseudonyme de Marcel Muller, un Alsacien interprète de l’abwehrstelle de Vannes. » (KH)
Armand Le Bérigot (Cadoudal) précisera : « Au mois de février 1944, j’étais adjoint du colonel Chenailler, chef d’Etat-Major de l’AS . J’avais comme chef de Bureau (2° bureau) un nommé Audran (Gabriel) qui avait comme adjoint un nommé Auguste Vigouroux dont la famille tient un café à Vannes. C’est Mme Defforges qui avait abrité Audran sur l’île de la Jument qui l’avait présenté comme très sûr. Audran se disait recherché par la gestapo en tant qu’agent de l’Intelligence Service. Du mois de janvier au mois de mars 1944, j’ai envoyé plusieurs fois Audran en missions de renseignements dans le Morbihan. Il envoyait souvent Vigouroux à sa place. Ils ont fini par connaître une partie du personnel dirigeant de l’AS. J’avais formellement interdit à Audran de tenir des listes des personnes visitées. » (KH)
Audran savait-il que « Laroche » était un agent du service du contre-espionnage allemand ? Mis en garde par Armand Le Bérigot, chef d’Etat-Major, son supérieur au sein de l’AS, il lui répondit : « qu’il ferait un excellent agent de renseignement étant donné sa fonction dans la milice. » (KH) (Claude Laboriaux alias « Jean Laroche » sera condamné à mort par contumace le 11 juillet 1947 par la cour de justice de Rennes)
« Laroche » a fait la connaissance de Suzanne par l’intermédiaire d’Audran. Suzanne est son agent de liaison avec le groupe du réseau « Alliance » d’Hennebont-Lorient avec lequel il est toujours en relation malgré l’interdiction qui lui avait été faite. Suzanne Huet » devient vite l’amie de Laroche et lui dit ce qu’elle sait. » (RL)
D’après Mme Vigouroux, tous fréquentaient son café : « Je connais Audran depuis assez longtemps par mon mari qui était en rapports assez amicaux avec lui. Ils s’étaient connus à Lorient où tous deux étaient à l’arsenal. Audran connaissait un nommé «Jean Laroche» qui venait souvent au café, accompagné d’une jeune fille, mademoiselle Suzanne, avec laquelle il semblait être très bien. Mon mari consommait avec eux quand ils venaient. » (KH)
En cas d’échec, Audran avait-il fait le sacrifice du groupe «Alliance» d’Hennebont-Lorient ? Connaissant la liaison de « Suzanne » avec un responsable de la Milice, Auguste Vigouroux qui était aussi l’adjoint d’Audran dans le réseau Alliance pouvait-il prévenir et sauver les membres de ce réseau ?
En bon professionnel, spécialiste du renseignement, «Laroche» face à deux amateurs, imprudents, prétentieux, naïfs et orgueilleux, estima que le moment était venu de passer à l’action.
Les tragiques évènements de mars 1944. « Le 13 mars 1944, au matin, sept membres du réseau « Alliance » sont arrêtés aux Travaux Maritimes d’Hennebont. Ils seront torturés et internés à Vannes et à Rennes où quelques-uns seront libérés mais les
autres partiront en direction des camps nazis. Toulgoat alias «Legrand» s’évadera sur les bords du Cher, du train qui avait quitté Rennes le 3 août. Pierre Poulichet, Mme Dubois et Noël de Toury seront libérés à Belfort, sous contrôle allemand, le 28 août. » (RL) «L’après-midi du 13 mars, c’est au tour de Vigouroux d’être interpellé à la gare de Vannes. Le soir, Emile Audran est également arrêté et les Allemands trouvent sur lui un carnet où figurent de nombreux noms. Torturés ils vont fournir des renseignements sur les patriotes de l’AS mentionnés dans le carnet. Le SD allemand connaît désormais une grande partie de l’encadrement du réseau «Alliance » et de l’AS dans le Morbihan. C’est la stupéfaction parmi les rares membres du réseau qui ont échappé à ce coup de filet. » (KH) Armand Le Bérigot qu’Audran et Vigouroux ne connaissaient que sous son pseudonyme, fut arrêté mais relâché car il présenta sa véritable carte d’identité. Il avait mis en garde Audran et n’est pas étonné outre mesure : «Lorsque j’ai appris ces arrestations, j’ai aussitôt porté mes soupçons sur le nommé «Laroche » qui était arrivé à Vannes deux ou trois semaines auparavant et qui m’avait été signalé comme chef de la Milice. J’avais aussitôt communiqué ce renseignement au chef du 2ème Bureau qui était Audran. Ce dernier me répondit qu’il le connaissait parfaitement et qu’il avait pris une consommation avec lui la veille. J’ai su que le « colonel Morice » l’avait lui-même mis en garde contre «Laroche». Pour ma part, j’avais donné l’ordre à Audran de cesser ses relations avec « Laroche ». Il me répondit que c’était entendu, qu’il allait avoir une dernière entrevue avec lui et qu’il aurait « Laroche » ou que ce serait ce dernier qui l’aurait. Ceci se passait 48 heures avant notre arrestation. » (KH)
« Incarcérés à la maison d’arrêt de Vannes, Vigouroux et Audran sont torturés par des policiers du SD descendus spécialement de Rennes avec des membres de la Formation Perrot. Vigouroux est enfermé dans la cellule d’Eugène Thomas, un patriote arrêté dans le maquis du Poulmain le 10 février 1944 qui témoigna : « Après un interrogatoire, il était en piètre état…il me fit part de son affaire. Il me dit que cette dernière avait été découverte par un milicien ami d’Audran. Il me dit avoir été torturé tout d’abord pour donner l’adresse d’Audran puis lorsque ce dernier fut arrêté, pour reconnaître que des personnes dont on lui présentait la liste appartenaient à la Résistance. J’ai la conviction que si Vigouroux a parlé, ce n’est que sous les coups.» (KH) « Le 14 mars à Vannes, les Allemands se présentent chez Sabine de la Barre de Nanteuil : «Durant l’occupation, ma fille aînée Agnès était agent de liaison du général Audibert et du colonel «Morice». Pour son service, elle était en relation avec Audran, alias «Gabriel». D’après la rumeur publique, «Gabriel» fut arrêté tard dans la soirée du 13 mars 1944 et ma fille Agnès le fut le lendemain vers 8 heures». (KH) A Vannes et dans le Morbihan, les arrestations de membres de l’A.S. dont beaucoup sont des cadres qu’Audran et Vigouroux rencontraient lors des missions qui leur étaient confiées, vont se succéder. « Roger Leroux a établi une liste dans laquelle il n’a fait figurer ni Audran ni Vigouroux : A Malestroit : le général Audibert. A Vannes : Francis Le Penven, Joseph Tastard **, Agnès de Nanteuil (grièvement blessée à Langeais par l’un des gardiens, elle mourra le 13 août à Paray-le-Monial dans le train qui la conduisait en déportation). A Ploërmel : le lieutenant de gendarmerie Guillo. *** A Sarzeau : le gendarme Jaffré et le docteur Jacques Sélou. A Questembert : l’adjudant de gendarmerie Brière, Albert Le Brun * et Gabriel Malard.* A Hennebont : l’adjudant de gendarmerie Nicolas**. A Muzillac, Emile Le Grévellec*, chef de district de l’AS, fils du directeur de l’école Jules Ferry de Vannes. A Pontivy : l’adjudant-chef de gendarmerie André Guillo ** A Auray : Joseph Rollo,** directeur de l’école de la gare, membre du bureau national du syndicat des
instituteurs. A Elven : Louis Le Barzic,* notaire, Jean-Paul Burgot,* Yvon Chailloux,*** Raymond Le Cadre***, Paul Plisson*** A Lanouée : François Bily***, chef du district AS de Josselin. A Josselin : Francis Le Drogo, minotier qui s’évadera à Langeais du train qui le conduisait en Allemagne. A Guémené : Michel Le Moal, chef de district de l’AS.
*fusillés à Rennes le 8 juin 1944. ** morts en déportation *** reviendront de déportation.
« Le coup de filet mené contre l’AS du Morbihan va trouver son épilogue le 31 mars avec l’opération menée sur l’île de la Jument. Six policiers allemands du SD de Rennes et des membres de la Formation Perrot : Perrin « Gwinieg », Chevalier « Mareg » et Guillo « Jégou » avec leur chef Ange Péresse encerclent la maison, refuge de patriotes et arrêtent : le capitaine de vaisseau Defforges**et sa femme, M. et Mme de Cartier, Catherine de Nanteuil (soeur d’Agnès), François Pocreau *** et Joseph Le Dorven**» (KH)
Août 1944. « Les Allemands partis de Vannes, l’affaire ressurgit puisque Audran et Vigouroux sont inculpés par contumace « d’intelligence avec l’ennemi et de livraison de membres de la Résistance à l’ennemi ». « Après une longue et pénible instruction, la cour de justice du Morbihan prononcera une décision de classement le 20 août 1945 :« Attendu qu’il s’agit de deux Résistants indiscutables, d’ailleurs déportés l’un et l’autre en Allemagne, qu’on ne peut reprocher à Audran que des imprudences ou des négligences, que Vigouroux a parlé seulement sous la torture, qu’on ne trouve dans cette affaire aucun élément intentionnel. On mesure, à la lecture de cette décision, le cas de conscience que devait représenter pour les juges cette douloureuse affaire. Le 20 août 1945, date du jugement, nul ne sait encore ce que sont devenus les deux hommes» (KH) Les juges ont peut-être considéré que la déportation était une sanction suffisante pour les deux accusés.
Bilan dramatique.
Conséquence de l’initiative irraisonnée et hautement risquée des deux responsables de son 2ème Bureau : Emile Audran et Auguste Vigouroux, l’«Armée Secrète », le plus important des mouvements de la Résistance morbihannaise, a été démantelée : une quarantaine de patriotes ont été arrêtés, cinq furent fusillés, seize furent envoyés en déportation, sept trouvèrent la mort dans les camps nazis.
70 ans plus tard, les familles des victimes se souviennent toujours de la conduite héroïque des courageux combattants de la Résistance et des conditions dans lesquelles certains ont été dénoncés, sont tombés entre les mains des Allemands et de la milice, ont été torturés, déportés ou fusillés.
 
                                                                                                                                                                                                                                                                                               PIERRE OILLO