Poèmes lus lors de la Cérémonie du 23 05 2019
Par Alya & Syld
Un instant suffit pour déverrouiller le secret de la vie,
or la seule et unique clé de tous les secrets c'est l'Histoire,
cette éternelle répétition et ce beau nom de l'horreur.
Jorge Luis Borges (1899-1986)
Définition de la Poésie
A la mémoire de Federico Garcia Lorca.
La légende raconte qu’avant d’être fusillé il vit au-dessus des soldats se lever le soleil et dit alors :
- Et pourtant le soleil se lève…C’était peut-être le début d’un nouveau poème.
Revoir un instant les paysages
derrière les fenêtres où se penchent
nos femmes,
nos semblables,
les poètes.
Revoir les paysages
derrière les tombes de nos camarades
et la neige lente qui vole
quand l’amour nous défie.
Revoir
les torrents troubles de la pluie qui rampe
sur les carreaux et brouille toute mesure,
Les mots qui nous dictent notre devoir.
Revoir
au-dessus de la terre inhospitalière
la croix étendre ses derniers bras
raidis.
Une nuit de lune
revoir l’ombre longue
que jettent les arbres et les hommes.
Une nuit de lune
revoir les lourdes vagues de la rivière
qui luisent comme des pantalons usés.
Puis à l’aube
Voir une fois encore la route blanche
où surgit le peloton d’exécution,
Revoir enfin
le soleil se lever entre les nuques étrangères
des soldats.
Joseph Brodsky (1940-1996)
Batailles sans Fin
Batailles sans fin,
la paix ne nous vient qu’en songe.
Ne laissez rien
troubler nos rêves.
La nuit blanche
les oiseaux endormis
se balancent dans le silence bleu.
Batailles sans fin,
assauts à l’aube,
les balles
ne savaient plus chanter
et nous criaient :
« l’immortalité vous attend »
Mais nous voulions seulement
revenir vivants.
Pardon.
Nous avons épuisé notre rage,
nous avons pris le monde
pour un rempart.
Nos cœurs bondissaient,
ruaient, écumaient
comme des chevaux
fusillés à bout portant.
… Dites là-bas
qu’on ne nous réveille plus.
Ne laissez rien
troubler nos rêves.
Qu’importe
si nous n’avons pas triomphé,
qu’importe
si nous ne sommes jamais revenus.
Joseph Brodsky (1940-1996)
Tuerie
Les cœurs meurent de sécheresse
Comme bétail dans un désert,
Un jour dur se désintéresse
Des meurtrissures de la terre.
Où sont les étangs, les rivières,
L'humidité de la verdeur,
La terre jaune est prisonnière
Des fils de fer de la douleur.
Oh ! qu'il pleuve enfin sur le monde,
Que les larmes viennent aux cœurs
Et que les regards se détendent
Rendant les armes aux douleurs.
Que le sang reste dans les veines
Et n'en jaillisse tout d'un coup
Comme d'une pauvre fontaine
Qui n'en peut pas donner beaucoup.
Oh ! qu'il pleuve des herbes douces,
Avec des pétales de pluie
Et que la tendresse repousse
Dans les plaines endolories,
Que sécheresse se transforme
En persuasives rosées
Et que la soif de tant de morts
Par nos larmes soit apaisée.
Oh ! qu'il pleuve enfin sur la haine
Comme sur les buissons saignants,
Et sur les cœurs qui se méprennent
Beaucoup de pluie également,
Que le monde se cicatrise,
Que mort sanglante se dédise
Et que s'avance enfin la paix
Avec sa houle de respect !
Jules Supervielle (1884-1960)
Je suis tombé près de lui. Comme une corde qui saute,
son corps roide s’est retourné.
La nuque à bout portant… Et toi comme les autres,
pensais-je, il te suffit d’attendre sans bouger.
La mort, de notre attente, est la rose vermeille.
Der springt noch auf, aboyait-on là-haut.
De la boue et du sang séchaient sur mon oreille.
Miklós Radnóty (1909-1944)