Témoignage d'agent de liaison : Denise ELICOT
receveuse des postes au Roc-St-André
Je suis entrée aux P.T.T en septembre 1938. Après plusieurs remplacements dans le département, j'ai été nommée comme receveuse intérimaire le 15 janvier 1941 au bureau de Poste du Roc-St-André,dont le receveur était prisonnier en Allemagne. Jusque là, le bureau avait été tenu par son épouse. J'étais seule dans le bureau, l'épouse du receveur étant partie vivre dans sa famille à Nantes. Je disposais en plus du bureau, de la salle d'attente et d'une petite cuisine dont une porte de sortie donnait sur la cour et petit jardin. J'ai dû amener mon lit, car la pièce était vide.
C'est la mairie qui me fournit table et chaises. Comme chauffage, une cheminée dans la cuisine et un poêle dans le bureau, mais ni bois ni charbon. Le maire dut y pourvoir.
En fin 1942, le lieutenant de gendarmerie de Ploêrmel, Guillo, est venu me trouver. Il m'a fait remarquer que j'étais seule dans ce bureau, puis il m'a dit qu'il avait besoin justement d'un bureau de poste pour aider la résistance qu'il organisait dans le secteur. Il m'a demandé si j'acceptais de collaborer avec lui. J'ai accepté de bon cœur. J'avais vingt deux ans. A cet âge là, on a tous un idéal ; je suis partie avec beaucoup d'enthousiasme, sans réfléchir aux conséquences que cela pouvait comporter.
J'ai commencé par servir d'agent de liaison, assurant des communications téléphoniques clandestines. Je me suis occupée de la fabrication et de la distribution de fausses cartes d'identité. J'en ai distribuées sur six cantons. Dans chacun de ses cantons, un résistant se chargeait de récolter les photos d'identité. Les noms : ceux de garçons désignés pour le S.TO. ou d'hommes obligés de se cacher. S'il n'y avait pas de photo, c'était le facteur Jean Le Coq qui, avec un appareil à plaques, photographiait les gars que je lui envoyais. Nous travaillions de connivence.
J'ai eu des cachets en caoutchouc qui avaient été fabriqués par Armel Meslé, le mécanicien, et dont le fils travaillait avec moi. Ces cachets imitaient ceux de la préfecture. Les allemands s'en sont aperçus et ont exigé un cachet sec sur toutes les cartes d'identité. A partir de cela, un agent patriote, Raymond Guillard de Lizio, s'était chargé de transporter ces cartes qu'il prenait vierges au bureau de Poste, se rendait et s'introduisait à la préfecture, aidé d'un camarade nommé Pain, puis de nuit, les deux braves apposaient le cachet sec sur ces cartes. Le lendemain, Guillard me les ramenait.
Albert Lebrun de Questembert assurait le transport des dépêches arrivant ou partant en gare de Questembert, pour les bureaux des alentours. Il transportait parfois des sacs postaux contenant des armes et munitions. Il arrivait que ces sacs étaient entreposés dans mon bureau, parmi sacs et paquets. J'ai même dû en mettre sous mon lit.
J'ai aussi hébergé des aviateurs alliés. Plusieurs fois, dans la soirée, on m'a amené des canadiens, des anglais ou des américains. Ils restaient dans la cuisine, moi dans le bureau.
Généralement vers 4 heures du matin (toujours très tôt), un patriote, souvent Emile Guimard, venait les chercher, puis les conduisait jusqu'à Malestroit à pied, le long du chemin du halage. Là une voiture les prenait pour aller prendre le train à Questembert en vue d'être évacués.
J'avais pour m'aider un facteur auxiliaire, Alexandre Caillot. C'était lui qui, sur sa tournée et même bien ailleurs, remettait les fausses cartes aux intéressés. Cet homme a été arrêté en mai 1944. Il a été torturé, avant d'être condamné à mort au Fort de Penthièvre.
Le transporteur du courrier, Albert Lebrun, a été arrêté le 31 mars 1944, chez lui, alors qu'il préparait une voiture pour aller chercher des membres de la résistance qui devaient arriver par l'express de Paris. Il a été fusillé le 8 juin à Rennes.
Témoignage cité par Joseph JEGO dans son ouvrage Rage, action, tourmente au Pays de Lanvaux