Keryacunff le 26 juillet 2014


« Ce que l'on faisait était simple, ma mère surtout. Mon père, je ne sais pas. Il a été obligé de fuir Paris parce qu'il était recherché. Ma mère partait avec la voiture d'enfant où des armes étaient dissimulées. Les armes servaient, on les remettait dans la voiture, chacun quittait les lieux à toute allure et maman rentrait à la maison. Nous avons été des aides. La Résistance avait besoin d'aides qui avaient moins d'importance que d'autres, mais qui ont permis d'aider au moment où il fallait aider. »
Ce témoignage date de 2013. C'est le souvenir et l'hommage d'un octogénaire, sur ses parents arméniens et parisiens, compagnons de Missak Manouchian, animateur de la section MOI des FTP.
« La Résistance avait besoin d'aides qui avaient moins d'importance que d'autres, mais qui ont permis d'aider au moment où il fallait aider. »
Ce témoignage de celui qui deviendra Charles Aznavour résume parfaitement le rôle essentiel des sans-grades que tenaient les femmes, notamment les agents de liaison, souvent des femmes, qui mettaient en contact discret les groupes de résistants, les militants et les dirigeants de la Résistance. Sans cet apport, pas de réseaux, sans réseaux pas de Résistance organisée.

C'est à cette place que se situaient les 4 jeunes femmes dont nous honorons aujourd'hui la mémoire, aux côtés de leurs camarades de combat Désiré Le Douaron et Georges Le Borgne. Les 4 jeunes femmes, tombées à Keryacunff le 26 juillet 1944 : Joséphine Kervinio de Guern, Anne Mathel et Marie-Anne Gourlay de Plouay, Anne- Marie Robic de Ploemeur. – non combattantes et non armées – qui furent abattues sur place, une balle dans la nuque, tout comme les deux jeunes dirigeants FTP qui les accompagnaient.
J'avais rappelé l'an dernier que ce procédé expéditif s'apparentait aux habitudes allemandes prises à l'Est, dans les territoires soviétiques.
Même sauvagerie, même mépris teinté de racisme : celui des groupes d'extermination, contre les juifs et les communistes d'URSS, ce que les nazis appelaient le « judeo-bolchevisme ». En France, printemps et été 44, c'est la même sauvagerie : la 24 juillet, ils achèvent les blessés de la chapelle du Cloître à Quistinic, deux jours plus tard ils exécutent brutalement les 4 jeunes femmes qui avaient commis l'affront de leur résister. Pensez donc, des femmes !.

A Bubry, le 26 juillet, alors qu'ils ont les Alliés aux basques et des maquisards susceptibles d'être derrière n'importe quel bosquet, les troupes allemandes ne cherchent plus à faire du renseignement, elle ne peuvent plus qu'éliminer à la va-vite, se venger de la panique qui les mène, à la veille de leur repli dans quelques réduits littoraux, se venger aussi de leur échec à saisir les chefs de la Résistance qui leur avaient été offerts par une trahison, notamment Emile Le Carrer, .

Contrairement aux vantardises tardives et mensongères du général allemand responsable de l'Occupation de la Bretagne en 44, contrairement aux copiés-collés qu'en font certains écrivaillons autonomistes actuels, la Résistance de l'été 44 n'est pas neutralisée, elle est omniprésente, et donc obsédante pour les allemands.
Joséphine Kervinio, Anne Mathel, Marie-Anne Gourlay et Anne-Marie Robic font partie des vainqueurs.
Localement elles ont contribué et rendu possible le fonctionnement collectif du triangle de direction des FTP du Morbihan ; elles ont contribué à accélérer la libération de la majeure partie de notre péninsule bretonne. Nationalement elles ont créé l'élan initial qui permettra à la République rétablie sur de nouvelles bases de se renforcer en construisant une société plus démocratique, plus égalitaire, plus sociale.
Nous ne savons pas ce que pensaient exactement Anne, Anne-Marie, Marie-Anne et Joséphine à l'époque de leur engagement et dans leurs derniers instants. Nous avons cependant des traces. Celles laissées par 5 jeunes bubryates de leur âge, 5 jeunes de leur région, les 5 membres du groupe Vaillant-Couturier fusillés à Vannes le 25 février 44. Que nous disent-ils dans les lettres de fusillés qui nous ont été transmises :

Je m'en vais le cœur calme avec la satisfaction d'avoir fait mon devoir ...l'avenir est à vous
Votre fils qui meurt pour que la France revive
Je souhaite que vous soyez heureux après la guerre

Chez ces jeunes filles et garçons, la foi en un avenir meilleur, fait de paix, de bonheur, de justice et d'égalité. Une aspiration si forte qu'elle s'imposera au pays, malgré les résistances qui pouvaient freiner, y compris dans la Résistance, le droit des femmes à l'égalité et à la liberté.
L'ordre des Compagnons de la Libération compte 6 femmes pour 1025 hommes. Le monde d'avant résiste encore. Le programme du CNR, mars 44, n'évoque pas le suffrage universel féminin. Le monde nouveau hésite encore. Mais quelques mois plus tard, il faut trancher, l'ordonnance du 5 octobre 44 institue enfin le suffrage féminin. Avec la place prise par les résistantes dans la libération du pays, il n'est plus possible de tergiverser. L'onde de choc de la démocratie pour les femmes se répercutera pendant les décennies suivantes avec la conquête progressive de nouveaux droits, conduisant à l'indépendance économique, au droit à disposer de son corps, au contrôle des naissances.
La conquête de l'égalité est redevable à ces jeunes femmes qui, avec leurs compagnons, ont su reconquérir et consolider démocratie et souveraineté. C'est le résultat d'un long combat, c'est un combat à poursuivre, contre les régressions qui menacent dans de trop nombreux pays, y compris le nôtre qui n'est pas à l'abri de dérapages et retours en arrière. Restons vigilant et poursuivons le combat de ces femmes restées éternellement jeunes de l'an 44.

Jean Pierre Fouillé

Président du Comité Bubry - Quistinic