Récit de DUTOT sur Anna STADLER
Anna STADLER
une allemande au secours des déportes
Extraits du Livre" Du pain entre les rails" écrit par Louis DUTOT, aumônier dans un stalag en Allemagne, à partir des témoignages de déportes affectes dans l'un des Kommandos extérieurs du KL DACHAU , à Neu-Offingen.
"Derrière les traverses, vous trouverez du pain"
Les déportes dressent l'oreille.
Deux femmes allemandes passent tout près de la voie ferrée ou ils travaillent. C'est l'une d'elles qui, sans tourner la tête, a parlé.
Le gardien tout proche n'a pas prêté attention. II ne comprend pas Ie français. Pour lui, les femmes bavardent entre elles.
Sans en avoir l'air, tout en remuant pelle et pioche, les détenus se rapprochent du tas de traverses. Oui, le pain est là... Un coup d'oeil vers Ie gardien. Les tartines disparaissent vivement dans les poches.
Les jours suivants, Ie miracle (car c'en est un pour ces ventres affames), Ie miracle se reproduit.
Alertes, les détenus, tout en travaillant, découvrent glissés contre les rails, cachés sous les traverses ou les buissons, des morceaux de pain, du saucisson, des cigarettes.
Ceci se passe en 1943, en Bavière, à la gare de Gundelfmgen. Les déportés travaillent à la réfection des voies. Le travail est pénible pour des hommes sous-alimentés. II faut tasser le ballast, porter des traverses, creuser des canalisations ou des cibles seront enterrés, décharger des wagons de cailloux ...
Ces prisonniers viennent de Neuoffmgen, qui se trouve a 7 kilomètres de lao ils sont transportés par Ie train et travaillent sur une portion de voie, d'environ 50 kilomètres sur la ligne de Giinzburg à Donauworth.
Le kommando de déportés, composé seulement de deux baraques, est situé au bord d'une forêt à 200 mètres du Danube. Pour eux, ce n'est pas le « beau Danube bleu» . Neuoffmgen est une annexe de Augsburg, qui dépend du sinistre Dachau, hantise de ces hommes.
Dachau, c'est la menace que font sans cesse peser sur leur tête, les trois gardiens. A leur tête, un sous-officier du genre plutôt hystérique. II est assiste d'une brute, toujours prête à rudoyer et à frapper. Le troisième est juste et bon. Mais son influence est minime.
Les deux premiers se plaisent à châtier les prisonniers qui ont contrevenu au règlement ou déplu pour une raison insignifiante. La punition courante : attacher Ie prisonnier toute la nuit, en chemise, à un poteau de la baraque, quelle que soit la saison.
Pour renforcer la surveillance pendant la journée, une dizaine de gardiens de la police des chemins de fer. Deux ingénieurs de la Reichbahn viennent contrôler les travaux.
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Les journées sont longues. Les détenus manient la pelle, apportent du gravier, déplacent de la terre. Pas très vite. Le voudraient-ils qu'ils ne Ie pourraient pas. Souvent la gamelle de midi n'est servie qu'à une heure, deux heures de l'après-midi.
L'ersatz-cafe de 7 heures est loin. Aussi quelle aubaine que ces tartines de pain, vite mangées en cachette, qui remontent à la fois Ie physique et Ie moral.
Mais qui vient ainsi les déposer sur Ie chantier des l'aube ? Sont-ce ces femmes entrevues Ie long de la voie ? Le risque est grand. II peut y aller pour elles de la déportation.
La bienfaitrice cachée, c'est Anna Stadler, une femme intrépide, qui habite Gundelfmgen, petite ville de 5.000 habitants. Elle appartient à une vieille et notable famille du pays, propriétaire d'une importante scierie et d'une grosse ferme. Elle a alors 45 ans.
Petite fille, sa joie était de secourir les malheureux. Elle désirait devenir religieuse. Mais la Congrégation ou elle se présenta dut la refuser a cause d'un état de santé fragile. Et puis, ajoutait-on, «elle est trop sensible pour pouvoir vivre, sa vie durant, au contact de la maladie et de la misère » ...
..... Anna était toujours prête a apporter son aide a ceux qui étaient malheureux ou persécutes.
Faut-il s'étonner des lors que lorsqu'elle connut la misère des déportes de Neuoffmgen, elle n'eut plus qu'un désir : les secourir. Mais comment? Apporter et cacher des vivres sur Ie lieu de travail. L'idée est toute simple, mais héroïque, tant les dangers pour elle étaient grands!
Pourtant Anna trouva vite que c'était trop peu.
Cette âme, simple et droite, sut user de ruse.
En accord avec son beau-frère, Vinzenz Sailer qui dirige la scierie, elle allègue que celle-ci a besoin de bras. Et elle obtient du commandant du camp qu'il envoie par roulement quinze a vingt hommes y travailler Ie samedi après-midi.
C'est alors chaque semaine l'impossible qui se réalise ... Si la Gestapo avait appris ce qui se passait a la scierie Sailer! Apres quelques menus travaux, pour la forme, tandis que les gardiens étaient invites a déjeuner a la salle a manger avec les maitres de maison, les détenus étaient conduits dans des salles annexes du chantier.
Les Anglais dans un local ou ils étaient servis par l'une des nièces de Anna Stadler, Anni Sailer, qui parlait anglais, les Français regroupes dans un autre plus vaste ou se démenait
Tante Anna: « Vous ne venez pas ici, Messieurs, pour travailler, leur disait-elle, mais seulement pour manger. Servez-vous. » Quelle fête pour ces ventres affames devant la copieuse collation qui leur était servie !
Aidée de ses nièces, Anna Stadler profite de ce moment de repit pour remettre un peu en état les vêtements des prisonniers. C'est aussi l'occasion de les mettre au courant de la situation militaire exacte. Et ~a comptait autant que les gâteries pour ces hommes qui attendaient la libération avec tant d'impatience. Est-il nécessaire d'ajouter que les prisonniers repartaient les poches bien garnies en friandises et cigarettes.
Certain détenu anglais arrive a l'extreme limite de ses forces fut même sauve par une serie de piqures qui lui furent faites en cachette ces samedis après-midi.
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Bientôt Anna Stadler osa davantage. Ne se mit-elle pas en tête d'entrer a l'intérieur même du camp. Elle s'employa. L'ordinaire des soldats de l'arrière de la Wehrmacht dans les années 1943-1944 n'était pas très relevé.
Anna fait appel a la générosité de ses parents, de ses amis, commerçants et agriculteurs. Elle obtient vivres et cigarettes. Elle en donne une part - une petite part -aux gardiens. C'est Ie seul moyen pour elle de pouvoir pénétrer derrière les barbelés. Mais la plus grosse part va aux détenus.
Anna donne ses soins aux malades, elle fournit des vêtements neufs, rep are ceux qui sont en loques. Surtout, surtout, elle leur procure a tous - sans distinction de nationalité ou de religion - Ie réconfort Ie plus apprécie, celui d'une amitié attentive à leurs besoins
Cependant la vie d'Anna Stadler est en danger. La Gestapo veille. A plusieurs reprises, elle est sur Ie point d'être arrêtée. Mais son astuce a réussi. Les gardiens de Neuoffmgen ne peuvent la trahir sans se trahir eux - mêmes.
Le réseau de surveillance a beau se resserrer de plus en plus étroitement autour d'elle, elle n'en poursuit pas moins son action charitable.
Non seulement près des déportes de Neuoffmgen Et près de ceux qui sont les victimes choisies du nazisme. Pendant de longs mois, elle cache et nourrit une famille juive dans une cave de la scierie ...
Ce n'est pas seulement Anna, mais toute la famille Sailer qui faisait preuve de courage et de générosité .
Mais voici que la fin du régime honni approche. Avril 1945. Cela devient sérieux pour tous. La rage de la destruction de ceux qui se disent de la race des seigneurs ne connait plus de bornes. II faut que disparaissent les ennemis du régime. Anna devait plus que jamais se tenir sur ses gardes. Les détenus craignent Ie pire pour eux. ils n'ont pas tort.
Un soir, un des gardiens du camp, Werner, celui qui était bon et que Mlle Stadler avait gagné à sa cause (il avait même plusieurs fois porte du courrier pour des prisonniers), Werner surgit chez Anna pour lui annoncer que les 80 prisonniers doivent être Ie lendemain transférés a Dachau. Et Werner a un geste significatif.
C'est la « solution finale » qui les attend.
Anna n'insiste pas. II faut agir vite. A bicyclette, sans se laisser arrêter par Ie mitraillage de l'aviation américaine, elle court a la nuit tombante jusqu'au camp. Elle en connait les êtres, les habitudes. Elle s'approche des barbelés, elle jette son message a l'intérieur.
« Echappez-vous ,. demain, c'est Dachau. »
Ses feuillets de papier sont ramasses par les déportes. L'énergie du désespoir les rend inventifs.
Au cours de la nuit, plusieurs réussissent à fuir. Anna les attend. Elle en cache dans la cave, la grange, jusque dans sa propre chambre. Avec l'aide des religieuses, elle leur procure des vêtements civils. Quelques jours après, ils peuvent gagner les lignes américaines toutes proches.
Les autres furent conduits Ie lendemain par leurs gardiens jusqu'à la forteresse de Landsberg.
Mais l'arrivée rapide des Américains fit qu'ils n'allèrent plus loin et furent libérés presque aussitôt.
3
C'est ainsi que - chose rarissime sans doute - tous les détenus d'un kommando de déportés purent rentrer sains et saufs en France et a Guernesey.
80 vies sauvées en grande partie parce qu'Anna Stadler les avait maintenues en bonne condition physique.
Aussi quelle joie pour elle, pour ses parents et ses amis lorsque, avant de partir pour la France, une dizaine de ces hommes fait irruption un beau matin chez elle pour leur dire: adieu et merci.
« Le plus beau jour de ma vie», dit -elle
Du pain entre les rails pages 15 a 24.
Le 14 juillet 1958, par M. Ie baron de Nerciat, Consul général de France it Munich remettait la croix de chevalier de la Légion d 'honneur fut remise it Anna Stadler.
Voici ce que répondit Anna Stadler a l'hommage que Ie Consul venait de lui rendre
«Ie ne suis qu'une simple et très insignifiante femme et je n'appartiens certainement pas it cette catégorie d'Allemands dont un poète a dit que les titres et les décorations étaient les moyens les plus susceptibles de les honorer.
Mon travail et mon champ d'actionn 'étaient et ne sont pas tels que j'eusse pu m 'attendre it recevoir une décoration nationale.
Si cependant j'ai pu faire du bien à quelqu'un, je ne l'ai toujours fait que sous l'impulsion du coeur et pour l'amour de Dieu .....
Ie manquerais cependant quelque peu de franchise si je n'avouais pas que, vraiment de tout coeur,je me réjouis de cette haute marque de distinction de la nation française que veut bien me décerner votre gouvernement. Je me réjouis, non pas parce que, du fait de la solennité de la remise de cette décoration, je
dois quitter l'ombre de ma modeste existence pour entrer dans la lumière de la publicité, mais bien plus parce que, par les modestes soins que j'ai eu la joie de prodiguer it de nombreux prisonniers et déportés français, j'ai pu un peu contribuer it sauver, vis-it-vis du peuple français viole et durement éprouvé par Hitler, un peu de l'honneur du nom allemand."
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