Denis DEROUT

Une jeunesse qui a pris fin pendant la guerre.

Le texte que vous allez lire, émane de la plume d’un des plus fidèles lecteurs et certainement des plus anciens adhérents de l’ANACR, mais également abonné à amis entends-tu. En études au Lycée Dupuy de LÔME de LORIENT, il va s’engager dans la résistance, avec ses amis de classe préparatoire, et de certains professeurs dont il en ignorait l’appartenance. Il va risquer sa vie pour tenter de sauver celle des autres.

Il s’agit de Monsieur Denis DEROUT 95 ans. Actuellement en retraite à Poitiers, il a accepté de me dévoiler une partie de son engagement, et avec son accord je vous laisse découvrir sa petite histoire, dans la grande. Cette période a de toute évidence conditionnée une partie de sa vie ; alors qui de mieux placé que son auteur pour en évoquer le contenu, et parler de lui-même.

   DENIS DEROUT                        

J’ai le privilège, comme peu de Français, d’avoir entendu l’appel du 18 juin………..

« Le 18 juin 1940, ce fut-là la naissance de mon gaullisme. Par ailleurs mon père, qui avait combattu à VERDUN, fait prisonnier au CHEMIN DES DAMES, ne portait pas PETAIN dans son cœur, je n’ai jamais su pour quelle raison ; il m’a transmis ses préventions sur le ‘’grand maréchal’’, raison supplémentaire pour me déterminer à résister.

Avec mes parents j’habitais LORIENT qui est devenu, dès l’arrivée des allemands, une très importante base sous-marine. Il m’arrivait de passer mon temps à aider un ami photographe dont l’ensemble de l’activité était fourni par les sous-mariniers. J’étais amené ainsi à connaitre les arrivés et les départs des u-boote dont j’ai eu l’occasion de rencontrer certain commandants. C’est ainsi que je fus conduit à confier ces renseignements à un ami du photographe, Mr BABIN, au demeurant fort sympathique, que cela semblait intéresser particulièrement. Pensant participer à la transmission de ces renseignements à LONDRES, j’accomplissais là mes premiers actes de résistant.

Cette spécificité de LORIENT en fit la cible de nombreux bombardements qui ont débuté dès le mois de septembre 40 et ont abouti en janvier 1943 à la destruction de la ville. Elève en classe de Math’Elem, j’ai suivi mon lycée qui avait trouvé refuge à GUEMENE sur SCORFF où il était logé dans un ancien hôtel ‘’ La Pomme d’or’’. Des lycéens Guémenois nous ont rejoints ; parmi eux Francis LE CUNFF est devenu un ami. C’est lui qui, connaissant mes opinions, m’a proposé, début avril 43, d’adhérer au Front National (le vrai) afin d’être incorporé par la suite dans les F.T.P. chargé de récupérer à la poste des colis de journaux et de tracts, je me suis vite rendu compte qu’ils étaient uniquement à l’honneur de STALINE, alors que j’étais un fervent Gaulliste. Francis trouve une solution à cette divergence en apprenant fin septembre la constitution d’un groupe que nous appelions Armée secrète, par un jeune instituteur, Alphonse TREHIN, à qui je proposais (je pense en octobre) de recruter mon professeur de Maths, Emile MAZE, dont je connaissais les sentiments anglophiles et Gaullistes ; âgé d’une cinquantaine d’années il devint aussitôt notre chef. Notre groupe appartenait à un mouvement dont le délégué départemental était Mr DERVIEUX, professeur au lycée de PONTIVY ; j’ai appris il y a peu de temps que ce mouvement était en fait le ‘’ Service National Maquis’’, émanation du réseau ‘’ Cahors-Asturies’’.

Entre temps, aux grandes vacances 1943, ce devait être en juillet, j’ai détruit des isolateurs destinés à l’installation d’une ligne téléphonique allemande pour relier le bourg de TREGUNC (Finistère) à la pointe de TREVINION où, à proximité dans un hameau, mes parents avaient trouvé refuge. C’était là un acte isolé que je n’ai jamais revendiqué, car, dès le lendemain, les autorités allemandes ont intimé l’ordre au maire de TREGUNC de faire surveiller le chantier, ce qui fut évidemment fort mal accueilli par la population.

Revenons à GUEMENE où notre groupe se réunissait dans l’atelier de menuiserie de père de Jean et Francis LE CUNFF ; nous n’avions pas d’armes et nous faisions des plans sur les formes d’actions qui nous attendaient, nous ‘’refaisions la France’’, nous constituant en sorte en un petit C.N.R. Nous déplorions d’être dans une zone géographique peu propice aux actions de sabotage ; pas de voies ferrées, pas de grands axes de communication, pas de concentration de troupes, pas de dépôts de munitions ou de carburant. Cependant il faut croire que les allemands nous prenaient pour de dangereux ‘’ terroristes’’, au point de créer à GUEMENE, à l’école de Saint Anne réquisitionnée, une annexe de la Gestapo de LOCMINE, un centre d’internement et de torture, et ce au début du mois de mai 44 auquel nous allons arriver. Nous avions ainsi atteint au moins un objectif ; désorganiser et en quelque sorte démoraliser notre ennemi.

Avec Francis nous allions le soir verser du sucre en poudre (véritable sacrifice à cette époque de restriction) dans les réservoirs de camion qui amenaient à LORIENT des travailleurs sur la base sous-marine. Là aussi la réaction allemande ne se fit pas attendre, imposant à la municipalité de faire garder les camions stationnés dans le haut de la place BISSON. De leur côté d’autres membres de notre groupe auraient percé des pneus de ces mêmes camions. Une autre de nos occupations, consistait à déplacer les panneaux indicateurs afin d’égarer les convois allemands qui auraient été amenés à traverser GUEMENE.

Des réfractaires du S.T.O. se sont joints à notre groupe, nous les appelions ‘’les parisiens’’. C’est ainsi que notre effectif s’est élevé à 22. Pour je ne sais quelle raison, mais je pense que c’est à la suite d’un démantèlement du S.N.M, nous avons été pris en charge, début décembre 43 par le mouvement, LIBE-NORD, dirigé par Jean LE COUTALLER. Je fus doté d’une fausse carte d’identité au nom de Daniel DARBOIS, que je regrette énormément d’avoir détruite à la libération, car elle ne m’était plus d’aucune utilité.

C’est ainsi qu’arrive le 2 Mai 1944 où, dénoncés par un « bon français », certainement même par un « bon Guémenois », nous avons été recherchés individuellement, les uns par la Gestapo, les autres – les S.T.O – par la Feldgendarmerie. J’ai échappé à cette rafle, mais quatre de nos compagnons Aimé et Francis TREBUIL, Jean FEUILLET et Jean MARTIN avaient été arrêtés, puis, le 4 mai Emile MAZE les rejoignit à LOCMINE. Après avoir été torturés ils ont été massacrés à la citadelle de PORT LOUIS où leur corps furent retrouvés parmi les 69 cadavres de ce charnier quelques jours après la fin de la guerre.

Rescapés nous avons rejoint une base organisé à la ferme du Vénec, près de MELLIONEC (côtes du Nord à l’époque) où nous nous sommes installés dans des huttes de branchages. Nous avions à peine commencé notre nid de ‘’maquisards’’ lorsque le dimanche de la fête de Jeanne d’ARC nous avons été pourchassées par une meute d’allemands accompagnés de chiens. Nous avons pu leur échapper qu’en traversant une tourbière où les chiens perdirent notre trace, un vrai miracle ! Nous nous sommes alors dispersés puis rassemblés en trouvant refuge auprès de fermes, en réalité en dehors de ces fermes, pour ne pas incriminer les fermiers à qui je ne rendrai pas suffisamment hommage car nous avions pour nous la mobilité, cependant eux ne pouvaient échapper aux ‘’boches’’ et beaucoup ont payé, dans nos campagnes, par l’incendie de leur ferme, et même par la mort.

 

Le maquisard et les paras

Le 6 juin à l’aube nous étions cinq ou six de la section de GUEMENE sur Scorff du 5eme bataillon F.F.I. du Morbihan prêts à partir à bicyclette pour une destination inconnue afin de nous y procurer des armes dont nous étions complètement dépourvus. Je me souviens que nous percevions des bruits sourds qui semblaient provenir du sol. Un camarade a dit « c’est le débarquement dans les Côtes du Nord » ; c’était bien la direction d’où provenait en fait les explosions d’obus et de bombes qui préludaient au débarquement en Normandie. Depuis quelques temps le bruit courait que le débarquement aurait lieu dans l’anse de Quiberon ?

Nous avions un premier rendez-vous, qui nous en fixa un second et ainsi jusqu’à St Marcel. Une image me reste de cette arrivée ; nous avions été accueillis par des gendarmes en uniforme, mais munis d’un brassard FFI, comme celui que nous portions. On nous avait dit que ce brassard, accompagné d’une pièce d’identité militaire établie sur une demi-page de cahier d’écolier, devait nous faire considérer comme des combattants couvert par la convention de GENEVRE. Quelle utopie ! Les allemands assimilaient même les paras en uniforme à des « terroristes ». A St Marcel notre petit groupe se dispersa au milieu d’une multitude de maquisards venus, comme nous, chercher des armes. Je sympathisais avec un petit groupe S.A.S. originaire de l’océan indien, sans me douter que bien plus tard, je deviendrai réunionnais pendant sept ans. Je me souviens donc de l’arrivé du Commandant BOURGOIN dont le parachute était plus grand que les autres, mais dont je ne puis voir qu’il était tricolore. Le lieutenant S.AS que j’assistais me dit « c’est notre patron, le Manchot ». Le lendemain en effet, en le rencontrant à la ferme de la NOUETTE, je puis constater qu’il lui manquait un bras, le droit si mes souvenir sont bons, car cela m’avait amené à penser qu’il devait saluer de la main gauche.

Je ne puis me souvenir à quelle date j’ai participé avec le Capitaine MARIENNE et un stick de paras à une reconnaissance dans la direction d’un observatoire allemand près de PLUMELEC, je revois MARIENNE scrutent cet objectif avec ses jumelles, mais il s’avérait que cette position était vide de tous ennemi. Je ne me souviens plus si je le tiens de MARIENNE ou sus un peu plus tard de DEPLANTE, mais, comme BOTELLA et DESCHAMPS parachutés dans les côtes du Nord, ils ont quitté l’Angleterre lieutenants et sont devenus Capitaine en tombant sur le sol de France ; ils ont d’ailleurs reçus leurs galons dans un parachutage. En dehors des nuits occupés à vider les containers, nous recevions des S.A.S. l’instruction des armes et des explosifs.

Denis DEROUT août 1944

 DENIS DEROUT B

Le 13 juin j’ai été désigné pour faire partie des dix FFI devant accompagner le Capitaine DEPLANTE et dix S.A.S. chargé en particulier d’apporter mon aide au radio dont l’indicatif était « PIERRE 5 ». La mission du Capitaine DEPLANTE, consistait à établir une base plus à l’ouest du département du Morbihan afin de désengorger St Marcel qui était destinée à éclater, ce qui ne put se produire avant l’attaque du 18 juin. Avant de quitter St Marcel le Capitaine DEPLANTE est allé s’incliner sur le corps du lieutenant HARENT. Je ne me doutais pas que 70 ans plus tard je serais amené à retrouver son souvenir au musée de TERCE près de Poitiers, car il était originaire de MONTMORILLON, dans la Vienne. Il avait été abattu lors d’un engagement qui avait suivi une mission d’observation identique à celle à laquelle j’avais participé avec MARIENNE. Peu après notre départ, en traversant le bourg de SERENT, les paras descendirent deux allemands qui réparaient une ligne téléphonique. Ensuite je n’ai aucun souvenir, ma mémoire est totalement vide sur le trajet qui nous amena au village de KERUSTEN, près de St CARADEC, où fut créée la base GROCK destinée à recevoir des parachutages afin d’armer notre bataillon, ainsi que plus tard, un bataillon F.T.P. Il me semble que LONDRES se refusait à armer les F.T.P. considérés comme communistes, ce serait sur l’intervention du Capitaine DEPLANTE qu’un accord soit intervenu à ce sujet, à la suite d’une rencontre avec le Commandant PIERRE (Roger LE HYARICK) à laquelle j’ai assisté d’assez près. Pierre aurait dit à DEPLANTE « alors on ne salue plus » à quoi DEPLANTE répondit en demandant à PIERRE d’où il tenait ses galons.

DENIS DEROUT A

 En arrivant à KERUSTEN j’ai eu le plaisir, outre de retrouver notre petit groupe, de constater qu’il s’était grossi de nouveaux volontaires inspirés par le débarquement, prélude à la libération. Parmi eux des camarades du Lycée de LORIENT replié à « la pomme d’or » un ancien hôtel, à GUEMENE il s’agissait de Jacques FAIGNOT et Freddy BORGAT ainsi que mon professeur d’allemand Xavier WOERTH, un Alsacien qui ne tarde pas à devenir le meilleur ami, avec Jacques. C’est là que j’ai rencontré pour la première fois notre commandant Jean LE COUTALER et notre Capitaine Vincent MOIZAN, je fus surpris d’y trouver également Mr MANSION professeur au lycée, Capitaine adjoint de LE COUTALER, dont Emile MAZE ne nous avait pas dit qu’il appartenait lui aussi à la résistance, peut-être l’ignorait-il.

En rentrant d’un parachutage, DEPLANTE et LE COUTALER me confièrent un sac de couleur brune qui avait contenu un parachute de container en me demandant de le garder jusqu’au matin. Je me suis endormi, le sac me servant d’oreiller, mais étonné d’être sous la protection d’un para en arme. Au réveil j’ai remis le sac à DEPLANTE, j’ai appris un peu plus tard, qu’il contenait l’argent destiné aux S.A.S. et au maquis de la région, certains ont parlé de trois millions de francs, d’autre de cinq millions.

Je me souviens d’un para dont la spécialité était d’imiter la voix chevrotante de PETAIN. Mais le meilleur souvenir, inoubliable, est celui d’un S.A.S. avec qui j’ai sympathisé, dont j’aurai aimé devenir son ami s’il n’avait été tué quelques semaines plus tard en libérant ROSPORDEN, le jeune Lieutenant Gaultier DE CARVILLE, très grand, à peine plus âgé que moi. De St MARCEL j’avais ramené un beau parachute en nylon blanc ; il me servait de sac de couchage, et je l’ai partagé pendant plusieurs nuits avec DE CARVILLE. Comme le terrain était en pente, il nous est arrivé de nous réveiller plus bas qu’en début de nuit.

Après dispersion de la base GROCK nous reprenions notre vie de déambulation, cette fois-ci avec les effectifs d’une section, nous devions être une quarantaine encadrés par moment par des paras chargés de notre instruction, effectuent de temps en temps avec eux des sabotages de lignes téléphoniques. Une mission à laquelle j’ai participé avec mon ami Freddy BURGAT fut d’accompagner un para du prénom de Gilbert, chargé de concevoir des actions multiples de priver la base sous-marine de LORIENT d’électricité fournie par le barrage de GUERLEDAN. Nous fîmes étape à Cléguérec où Freddy, dont la mère y était réfugiée, prit contact avec un responsable de la résistance qui lui donna les renseignements permettant de joindre les résistants près du barrage. En lisière de la forêt de QUENECAN, Freddy et moi avons laissé Gilbert continuer seul sa mission, il ne voulait pas nous impliquer en cas d’arrestation. Nous avons appris plus tard que les mesures envisageables devaient être écartées, car la rupture du barrage risquait de mettre en péril les populations habitant en aval, et en particulier un camp de travailleurs réquisitionnés, dont de nombreux indochinois.

Pour éviter les attaques de bureaux de tabacs auquel étaient amenés certain pour satisfaire leurs besoins, Freddy s’est souvenu qu’un de mes camarades du Lycée de LORIENT, Guy CLECH, avait pour père le directeur du service des tabacs du Morbihan, réfugié à PONTIVY, et que nous pourrions essayer de mettre au point avec lui le détournement d’un camion de tabac et cigarettes. Cette tentative étant décidée nous avons pris le chemin pour PONTIVY, à environ 30 km, en évitant les routes et les agglomérations. Peu avant d’atteindre PONTIVY nous nous sommes débarrassés de nos armes dans une maison abandonnée et nous sommes rendus chez notre interlocuteur qui nous reçus royalement, nous offrant un repas dont nous avions perdu le goût, arrosé de bons vins, mais notre proposition ne trouva aucun écho. Alors, par réaction, Guy, qui n’avait pas suivi notre lycée à GUEMENE et se trouvait par hasard chez ses parents, leur déclara sa décision de nous suivre pour prendre le maquis, aucune objurgation ne le fit revenir sur sa décision, et c’est ainsi qu’il fit partie de notre section jusqu’à la fin de la guerre.

5EME BATAILLON FFI

Fin juin nous avons eu comme instructeur pendant quelques jours le Sergent S.A.S. BONIS ; le 1 er juillet notre section a été appelée en secours de celle de François LE GUYADER encerclée par les allemands. Je me souviens qu’il tombait une petite pluie fine, continue. Passant par le château de KERSERVANT nous sommes arrivés près de la ferme de KERGOËT dont nous étions séparés par un petit vallon. Le groupe DEBRETAGNE, dont je faisais partie, fût désigné pour approcher de la ferme, nous avons franchi le vallon en rampant dans un ruisseau, le long d’un talus. Au cours de cette progression, jetant mon coup d’oeil au-dessus du talus, je remarquai à une cinquantaine de mètres, peut-être moins, un soldat allemand qui allumait une cigarette, je demandais à mon voisin son fusil, car je n’avais qu’une mitraillette STEN, peu précise, je mis en joue l’allemand, mais pensant qu’il avait peut-être une épouse ou une amie, certainement une mère, je n’ai pas tiré. Qu’aurais-je fait si j’avais su ce qui était en train de se passer dans la ferme, cet acte barbare qui coûta la vie au fermier, LE PADELLEC, jeté dans le brasier de sa ferme incendiée, au Sergent S.A.S. BONIS qui était intervenu pour briser l’encerclement de nos camarades, ainsi qu’a deux autres combattants F.F.I. dont les noms figurent sur la stèle érigée à ce même endroit. François LE GUYADER, blessé fût fait prisonnier et quelques jours plus tard mourut sous la torture en FAOUËT. Nous avons atteint la lisière d’un petit champ de blé qui nous séparait des allemands, les balles sifflaient, nous avions été repérés, je me suis mis sur le dos et, ma Sten à bout de bras, j’ai vidé trois ou quatre chargeurs. L’ordre de repli nous a fait reprendre le même chemin, en sens inverse, à peu près à mi-chemin mon voisin, je ne saurais préciser si c’était LE SAËC ou LEROUX m’a dit « j’en ai une dans le bras » je l’ai aidé à mettre un pansement, ce qui nous a fait décrocher du reste du groupe ; nous sommes arrivés bons dernier à notre base de départ, LE COSQUER ? où nos camarades nous considérait déjà comme manquant. Pendant près de deux heures les tirs ont continué, nous avons appris par la suite que des renforts allemands avaient pris notre emplacement et que, dans la confusion, ils se sont battus entre eux. La BBC conta cet épisode quelques jours plus tard, prétendant qu’il y avait eu au moins une centaine de tués côté allemand. Le chiffre a été ramené, de façon vraisemblable, à 35, mais il est prouvé que de nombreux cercueils ont été réquisitionnés dans la région, j’en ai eu le témoignage de la bouche même de Mr LE CUNFF, père de Jean et Francis, qui était menuisier à GUEMENE. Les noms de ceux qui appartenaient à mon groupe DEBRETAGNE (9 hommes) étaient : MELQUION, KOCH, LEROUX, FORTUNE, POTTIER, LE BAIL, LE SAËC et moi DEROUT, parti en éclaireurs, approchèrent à moins de 15 mètres de l’ennemi, acceptèrent le combat et ne se replièrent que sur ordre. Au cours de ce combat trois hommes furent blessés, à savoir KOCH, LEROROUX et LE SAËC. Notre section s’est trouvée augmentée d’une unité, Henry d’AUBERT qui quitte son manoir de KERSERVANT, dont dépendait la ferme de KERGOËT, pour se joindre à nous, il est devenu le meilleur des amis, ensemble jusqu’à la libération, puis sur la poche de LORIENT.

LISTE DES NOMS

Evoquant ce combat de KERGOËT, précisément en juin 2012, donc 70 ans après ces événements, me souvenant des jets de boues projetés par l’explosion des obus de mortier, j’ai réalisé que si le sol avait été sec nous aurions eu certainement beaucoup plus de victimes, et que je n’aurais peut-être pas pu en témoigner.

Dans la matinée du 4 Août, notre section se mit en position à LONGUEVILLE pour accrocher les allemands qui quittaient GUEMENE ; en effet nous avions la consigne de retarder leur retraite en évitant des engagements plus long qui auraient risqué de provoquer des pertes dans nos rangs. Je ne suis pas témoin direct de cet accrochage, car je fus désigné pour assurer la sécurité à l’arrière du dispositif et protéger le repli de la section avec mon F.M., assisté d’André LE BAIL (Dédé) comme pourvoyeur. J’ai donc entendu l’engagement sans le voir, au signal du départ de la section, je jetai sur la route une grenade bourrée d’un pain de plastic, que j’avais en outre eu l’idée diabolique de truffer de balles de colt. Je pense que son explosion, un bruit infernal, plus peut-être qu’un effet létal, a dissuadé les boches de nous contourner par ce côté. En me repliant LE BAIL m’ayant devancé, en traversant un chemin creux, je fus accueillis par un tir nourri, les balles sifflaient à mes oreilles, mon Bren à la hanche, je lâchais des rafales pour me couvrir en faisant le maximum de bruit. Je rejoignis mes camarades pour entrer dans GUEMENE en liesse, étonnamment pavoisé, je me demandais d’où pouvait sortir tous ces drapeaux. En début d’après-midi nous sommes allés prendre position sur la route de LORIENT, pour le cas où les allemands auraient été contraints de rebrousser chemin. C’est alors que, étant en file indienne, nous fûmes mitraillés par deux chasseurs américains, des mustangs il me semble, et que je fus atteint à la main gauche, la base du pouce sectionnée et qu’en me jetant dans le fossé pour me mettre à l’abri, mon genou gauche heurte une roche, ce qui provoqua un épanchement de synovie qui me priva de suivre mon bataillon dans les combats de libération de PAIMPOL. Ces avions mitraillèrent également un dépôt d’autocars dans le bas de la ville. Je fus soigné par le Docteur LE BOULCH chez qui se tenait, j’en ai gardé un souvenir, une répétition de chorale qui devait se produire pour célébrer la libération, sous la conduite de mon ami Lorientais Pierre LE FLOHIC. En cours d’après-midi, entendant le bruit caractéristique de chenilles, on m’amena en voiture au-devant de la colonne américaine qui s’apprêtait à entrer dans GUEMENE, j’eus aussi le privilège d’y participer, dans le command-car de tête ; je communiquai avec les occupants dans un anglais malhabile, mais surtout en allemand car, apparemment ces américains étaient tous d’origine germanique. Le chef du détachement me dit qu’il venait de recevoir un message de son Q.G. lui demandant de s’informer des conséquences du mitraillage par ces avions dont les pilotes nous avaient pris pour des allemands en fuite, et de présenter les regrets des autorités américaines pour les victimes éventuelles, je leur dis donc ce qui s’était passé et qu’à part ma blessure, au demeurant assez légère, une vache avait été tuée dans un champ.

 

Libération de GUEMENE

LIBERATION GUEMENE SUR SCORFF

Le commandement militaire de GUEMENE fut assuré par un Lieutenant S.A.S. que nous n’avions connu que sous le nom de LE LORRAIN, ce pseudonyme cachant sa véritable identité afin d’éviter des conséquences fâcheuses pour sa famille demeurée en Lorraine et annexée. Il apprit cependant que, malgré cette précaution, sa femme et ses parents avaient été déportés.

Ainsi se termine cette époque où nous avons côtoyé les parachutistes de la France Libre. J’étais en admiration devant ces hommes tombés du ciel, venant nous apporter la liberté qui nous avait été confisquée pendant de longues années d’occupation ; je pense que cette opinion était partagée par tous les maquisards. Ils étaient à mes yeux des héros et, chaque fois que j’ai exprimé ce sentiment devant eux, j’ai eu la surprise de me voir répondre qu’ils avaient à notre égard la même attitude car, disaient-ils nous avions davantage de risques qu’eux, vivant en permanence au milieu de nos ennemis et à la merci d’une dénonciation d’une arrestation. Cette affirmation me fut confirmée bien après la guerre, à l’occasion de rencontres avec deux anciens S.A.S. RICHERT, qui était agent des douanes à NIORT et son grand ami CROENNE, bien connu en Bretagne, malheureusement tous deux ont quitté ce monde, et la dernière fois où j’ai vu CROENNE, c’est aux obsèques de RICHERT.

Ma convalescence terminée, je rejoignis mon unité sur la poche de LORIENT. Notre 5me bataillon F.F.I. était devenu le 10me bataillon ‘’Rangers’’ associé à la division d’infanterie américaine qui assiégeait la poche, successivement la 94me puis la 66me j’ai ainsi participé aux combats de St HELENE fin octobre 44, puis, aux environs de BRANDERION, à une guerre de position agrémentée par des patrouilles. Le 5 décembre nous avons pris part à un coup de mains sur le bourg de KERVIGNAC. Je servais de pourvoyeur à notre tireur de Bazouka, Eugène LE GALL, il tira trois projectiles sur le PC allemand qui nous avait été désigné comme cible ; en regagnant notre section, nous fumes pris sous le tir d’une mitrailleuse située à quelques mètres, de l’autre côté de la route, que nous n’avions pas décelée. Ces tirs furent fatals à deux camarades chargés de nous couvrir avec mon F.M. Robert LEBON et Philippe KERNILIS, mon meilleur ami, camarade de lycée à LORIENT puis à GUEMENE, firent les victimes de cet engagement. Une plaque commémorant ce triste jour a été inaugurée le 8 mai 2015 à KERVIGNAC.

La guerre se terminait, mais les allemands de la poche de LORIENT ne se rendirent que le 10 mai, alors que toute la France était en liesse depuis le 8. Je me souviens d’avoir passé, avec une certaine nostalgie, la nuit du 8 au 9 ou du 9 au 10 derrière un F.M. dans un fossé à l’entrée de BRANDERION, car on craignait un ‘’baroud’’ d’honneur des ‘’boches’’.

Là prit fin une période si dense de ma vie, qui m’a profondément marqué et dont je ne puis me séparer. Mais le point final n’est venu que beaucoup plus tard et je ne résiste pas à l’envie de la raconter. Jacqueline, la femme de Guy, mon ami photographe dont j’ai parlé au début de ce témoignage, m’a retrouvé, comme elle me l’a dit « au bout de 70 ans de séparation » et j’ai eu le bonheur de partager avec elle de nombreux souvenirs de notre jeunesse, malheureusement interrompus par sa mort. C’est à sa fille, rencontrée en 2015 que je demandai des nouvelles de BABIN. Elle me répondit que ce fut une grande déception pour ses parents lorsqu’il se présenta chez eux en uniforme de milicien, ils rompirent dès lors toute relation avec lui. Je laisse deviner mon effroi à postériori, j’ai eu du mal à me débarrasser –et encore ! Cet épisode illustre le climat de l’époque qui devait amener à se méfier les uns des autres.

Finalement notre groupe Service National Maquis, devenu début décembre 1943 Libération Nord, a plus été chassé que chasseur. En ce qui me concerne, je pense avoir été tout simplement fidèle à l’engagement pris le 18 juin 40 ».

Cette page de vie de Denis est criante de vérité. Elle synthétise bien l’ambiance de cette époque, par le comportement, les attitudes de nos concitoyens qui, dans ces moments d’incertitude sont capable de basculer dans la facilité.

Texte issu du manuscrit de Mr Denis DEROUT