PIERRE LE GARREC et VINCENT GAHINET

 Les deux «  Gavroche  » d'Hennebont

NÉ EN 1925, J’AVAIS 14 ANS QUAND LA GUERRE A ÉTÉ DÉCLARÉE. EN 1940, UN DE MES ONCLES PATERNELS A ÉTÉ FAIT PRISONNIER. IL N’EST REVENU À HENNEBONT QU’APRÈS LA FIN DE LA GUERRE . AU MOMENT DE L’ARMISTICE, MON PÈRE, POILU DE 14/18, AVAIT CONFIANCE DANS LE MARÉCHAL PÉTAIN. PERSONNE DANS MA FAMILLE N’A ENTENDU L’APPEL DU 18 JUIN DE GAULLE, ET À L’ÉPOQUE JE NE PRÉOCCUPAIS PAS DE LA SITUATION. J’AVAIS OBTENU MON CERTIFICAT D’ÉTUDES, ET J’AVAIS ÉTÉ ENGAGÉ POUR FAIRE LES ÉCRITURES PAR LA FEMME D’UN GREFFIER DE PAIX, QUI ÉTAIT PRISONNIER EN ALLEMAGNE. C’EST PAR L’INTERMÉ- DIAIRE DE MON AMI VINCENT GAHINET, QUI AVAIT DEUX ANS DE PLUS QUE MOI, QUE J’AI COMMENCÉ À ENTENDRE PARLER DE LA RÉSISTANCE.

En effet, Vincent qui avait dû quitter l’arsenal de Lorient où il était apprenti parce qu’il avait une mauvaise santé, est revenu travailler à la boulangerie que tenait sa mère à Hennebont. Tous les soirs après le travail, je rejoignais Vincent à la boulangerie, et ensemble nous écoutions “ radio Londres” .

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C’est comme cela que nous avons commencé à entendre parler de la Résistance. En plus, Vincent connaissait Jules Le Sauce, dit le Rouquin, parce qu’il s’était décoloré les cheveux pour échapper à la Gestapo, après plu- sieurs actions d’éclat. Or, quand Jules se savait recherché, il venait parfois se réfugier chez les parents de Vincent qui le cachaient dans les annexes de la boulangerie.

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SEULS ET SANS ARMES

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Au fil des mois, Vincent et moi, on a aussi voulu agir. Mais que faire, seuls et sans armes?
Le hasard m’a permis d’accomplir ce que je vais appeler, pour rire avec toi, mon premier exploit. C’était à l’heure de la pause du midi, un jour de mai 1943, je me promenais près du viaduc, rive droite, non loin de la gare. Plus précisément, c’était l’époque des couvées et j’étais à la recherche de nids de pigeon pour améliorer l’ordinaire de la famille. J’ai soudain aperçu un soldat allemand, dans la cour de la gare, assis sur un tas de foin, endormi, son fusil à ses pieds. Pas un autre Boche aux environs. L’occasion était trop belle. Je me suis approché tout doucement, j’ai pris le fusil, tout aussi doucement, et j’ai couru le cacher dans un taillis non loin de là. Je n’ai même pas eu le temps d’avoir peur. Puis, je suis allé au boulot. Après le travail, j’ai pris une brouette, un grand sac, et des branchages, et je suis allé récupérer le fusil. Pour le cacher, la solution était toute trouvée: chez mon copain Vincent ! En effet, tous les fours de la boulangerie étaient chauffés au bois. Il y avait donc dans le hangar, près de la boulangerie, de nombreux fagots de bois, cachette idéale où Vincent et moi avons planqué le fusil . Parfois, je ris encore tout seul en imaginant la tête du soldat quand il s’est réveillé, fusil envolé. Parfois, je me dis qu’il a peut-être fini ses jours sur le front de l’Est, après un exploit pareil, dormir en plein jour, l’arme aux pieds !

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SANS MUNITIONS

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Un fusil, certes, mais que faire sans munitions ?
Lors de mes allées et venues dans la ville, j’avais repéré que les Allemands avaient installé un dépôt de munitions à l’intérieur de la Maison du Peuple, dans un local auquel on accédait par un grand portail fait de plaques de 50 cm sur 50 cm. Or, une des plaques était cassée. J’avais également remarqué que, tous les jours, les Allemands allaient manger le midi à la cantine dans l’école primaire, de- venue l’école Pierre et Marie Curie. Aussi, comme je traînais par là, un midi, quelques jours après ma “ prise de guerre”, j’ai aperçu un gamin du quartier près du portail .

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Totalement inconscient du risque que je nous faisais courir à tous deux, j’ai demandé à celui-ci de se glisser à l’intérieur du local par l’espace laissé libre et d’approcher un carton de munitions de ce trou. Sans une seconde d’hésitation, l’enfant m’a obéi et j’ai réussi à prendre le carton qu’une fois encore, j’ai caché un peu plus loin avant de m’éclipser.

Le soir, je suis allé avec Vincent récupérer le carton: il y avait bien 200 à 300 munitions. On a réussi à transporter tout cela jusqu’à la boulangerie et les munitions sont allées rejoindre le fusil sous les fagots . Pour dire la vérité, ni Vincent ni moi, ne pensions que nous pouvions nous faire prendre, ni, à plus forte raison, que nous pouvions nous faire fusiller .

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Voilà, nous avions un fusil, nous avions des munitions: maintenant, il fallait vérifier que tout cela fonction- nait. Nous savions que tous les di- manches, le long du Blavet, dans le bois de la Grange, les Allemands s’en- traînaient au tir. Nous avons donc décidé de faire comme eux, en même temps qu’eux . Pendant quatre à cinq dimanches, fusil et munitions dans la brouette, recouverts de fagots, nous nous sommes rendus dans la carrière du Bois de la Grange. Pendant que l’un de nous deux montait la garde, l’autre, tout au fond de la carrière, tirait en même temps que les Allemands, qui, par chance, n’ont toujours entendu que leurs propres coups de feu. Faut dire aussi qu’on ne gaspillait pas nos munitions: cinq cartouches chacun par entraînement, pas plus !

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Dans la même période, Vincent et moi, nous avons également saboté des voitures réquisitionnées par les Allemands et volé deux revolvers à des soldats. Nous avions en effet remarqué que lorsqu’ils allaient au bistrot, toujours à peu près vers la même heure, les soldats mettaient leur ceinturon avec l’étui contenant leur revolver sur un porte-manteau, proche le plus souvent de la porte d’entrée. Alors, on s’arrangeait tous les deux pour arriver un peu avant les soldats, on s’attablait à une table près de la porte et on attendait le moment propice pour faucher l’arme. On ne l’a fait que deux fois. A ces deux occasions, j’ai vraiment eu conscience du danger et eu très peur.

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Puis, au bout de quelques mois, courant septembre 1943, alors que jusqu’à là, Vincent et moi, nous ne cherchions pas encore à entrer en contact avec une organisation pour ne pas nous faire repérer, Vincent a voulu passer en Angleterre. Après avoir tenté de trouver un marin pêcheur sur la côte nord, du côté de Perros Guirec, nous avons dû y renoncer: c’était trop gardé. Vincent a persisté dans son projet. Avec trois autres amis dont je ne me souviens plus des noms, il a décidé de rejoindre l’Angleterre en passant par l’Espagne. Je crois que c’est par une lettre que ses parents avaient reçue d’Allemagne, fin 1943, que j’ai appris que Vincent avait été arrêté à la frontière espagnole avec ses trois copains. Cette lettre donnait une adresse disant que l’on pouvait envoyer des colis. Je me souviens avoir volé des boîtes de conserve, de sardines, de biscuits dans le dépôt chez Tristan, aliments que ses parents envoyaient en Allemagne. Vin- cent a été déporté à Buchenwald. Il est mort en avril ou mai 1945, je pense, sur le chemin du retour, épuisé par le scorbut .

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Quant à moi, après le départ de Vincent pour l’Espagne, j’ai été démoralisé et je n’ai plus rien fait. C’est seulement, après le débarquement , le 6 juin 1944, que je me suis décidé à agir de nouveau contre l’occupant. Avec deux autres amis, André Burban et Maurice Le Meur, nous sommes partis sur Guern. En effet, nous avions entendu dire que l’abbé Bulot mettait les jeunes gens qui le lui de- mandaient en rapport avec les maquisards. Nous voilà donc partis, toujours avec mon sacré fusil et des munitions ( on allait quand même pas laisser cela derrière nous !). Il y avait trente kilomètres à faire à pied. Dès qu’on entendait un bruit de voiture, on se planquait .

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Nous sommes arrivés sans encombre à Guern et nous nous sommes rendus au presbytère. Tout ne s’est pas passé aussi vite que nous l’avions espéré. L’abbé nous a dit qu’il fallait patienter et que nous devions d’abord nous séparer. Pendant huit jours, nous avons été “placés” dans des fermes différentes. Il fallait sans doute vérifier que nous n’étions pas des miliciens. Après huit jours, l’abbé nous a demandé de rentrer chez nous prendre des vêtements.

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Cette chose faite, nous avons été intégrés dans le maquis du côté de Guern, encadrés notamment par des gendarmes de Pontivy. Finis les retours à la maison et les sorties.

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Seuls les chefs de section savaient précisément où nous nous rendions lors des opérations. Seuls aussi, ils étaient en relation avec le Colonel Robo, de l’ORA, qui commandait le 4éme bataillon depuis mai 1944. Bataillon qui avait pour secteur d’opérations la portion de territoire délimitée par Mur de Bretagne, Loudéac, Josselin, Pontivy et Guéméné.

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Seuls aussi les chefs de section étaient en relation avec les S.A.S Deplante et Marienne, qui, après la bataille de Saint Marcel se trouvaient, le premier dans le secteur de Guern, le second du côté de Plumelec, puis dans la ferme de Kérihuel.

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D’ailleurs, après l’assassinat du capitaine Marienne, de sept autres parachutistes et de huit patriotes des FFI à Kérihuel, le 12 juillet 1944, comme après l’arrestation du Colonel Robo, le 22 juillet à Cléguérec, nous changions souvent de campements et les noms des lieux se sont embrouillés dans ma mémoire.

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Je n’ai pas participé à des actions spectaculaires : nous attaquions en petits groupes des convois ennemis, nous décrochions très vite, et je n’ai jamais su si j’avais réussi à atteindre une cible. J’ai aussi pris part à des plastiquages de voies de chemin de fer et fait dérailler deux ou trois trains entre Pontivy et Saint Gonnery.

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J’ai également assisté à quatre parachutages mais je ne peux plus préciser le nom des terrains, c’était dans le secteur entre Pontivy et Mur de Bretagne, puis du côté de Saint Jean Brevelay.

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Pour les parachutages, le procédé était toujours le même : une fois que les containers étaient tombés au sol, seuls les chefs de groupe pouvaient se rendre sur le terrain rechercher le container qui contenait de l’argent, ce qui permettait notamment de payer la nourriture que nous fournissaient les paysans.

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Une fois ce container repéré, nous allions alors à la recherche des autres containers, que nous vidions pour pouvoir cacher les armes dans différentes caches, et surtout dans les talus. Il fallait aussi effacer toutes les traces du parachutage. Pour les parachutes, ce n’était pas trop difficile, car nous les utilisions comme couvertures ou toiles de tente pour nous protéger des intempéries.

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Pour l’anecdote, laisse-moi te dire qu’après la Libération, j’ai trouvé une couturière qui a réussi à me faire des chemises dans le tissu de “ mon” parachute .

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Le «partage» des armes a été une fois l’occasion d’un « accrochage » avec un groupe de FTP, qui s’était aperçu du parachutage. Certains des FFI ne voulaient pas leur remettre d’armes. La discussion a été rude, mais on a fini par s’entendre : n’étions- nous pas frères de combat ?

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A partir de janvier 1945 j’ai intégré les fusiliers marins, pris part aux combats de la Poche de Lorient et sur le front de la Vilaine, à Damgan, jusqu’en mai 1945. Mon souvenir le plus précis, c’est ce que j’ai pu avoir froid, et cela même début mai 1945! Rien de glorieux, tu vois! Après la reddition de la Poche, on nous a proposé de partir combattre les «  Japs  » pour en finir avec les régimes fascistes. J’ai accepté et je me suis retrouvé engagé pour trois ans dans le corps expédi- tionnaire français pour l’Extrême- Orient sous les ordres du général Leclerc. Quand les japonais ont capitulé, on nous a envoyés en Indochine. L’insurrection du Viet Minh commençait, on était dans la jungle mais je n’ai vraiment plus envie d’y penser, ni davantage de t’en parler .

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Que te dire de plus sur mon action dans la Résistance : j’ai fait mon devoir, la guerre m’a pris mon meilleur copain .

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Récit de Pierre Le Garrec,

Président du comité local de l’Anacr à Hennebont recueilli par Katherine Le Port, courant octobre 2011.