Récit d’Henri LE CUNFF né le 25/09/1922 à Lorient, matricule 37275, déporté dans le convoi de René parti de Compiègne le 15/07/1944, écrit de sa main sur les pages d’un cahier.
La tragédie de Neuengamme 1945
Le Kommando de Brême, dépendance du camp de Neuengamme. Un jour d’avril, je suis allongé sur ma paillasse, l’oreille à l’écouteur. L’appareil est entre le matelas et le mur, absolument invisible. C’est Jean l’électricien qui l’a construit avec quelques pinces récupérées dans les travaux de déblaiement de Brême. Il tient tout entier dans un boitier de téléphone. L’antenne monte le long du tube protégeant le fil électrique et se perd dans le plafond. Du travail savant ! Il le faut : nous risquons la potence.
Jean surveille l’entrée de la baraque. J’écoute. Pan, pan, pan,pan. C’est l’indicatif bien connu. Le V de la victoire
- Ici Londres,
- Chut ! ça y est.
Tout le monde s’est tu. Jean a déplié la carte où nous suivons, heure par heure, l’avance des troupes canadiennes. Un silence et j’annonce :
- Les britanniques sont parvenus à moins de 10 km de la ville de Brême !
Cela nous suffit. Le reste ne nous intéresse plus. Depuis la veille nous entendons le grondement des canons. Nous avons vu le Volksturm prendre position le long de la Weser. Notre Kommando se trouve dans le faubourg est de la ville. Les canadiens devront donc traverser la ville et le fleuve avant d’arriver jusqu’à nous.
Le lendemain un ordre de départ vient anéantir nos espoirs. On nous rassemble, en route pour Neuengamme. Probablement tous les Kommandos dépendant du camp vont être aussi rassemblés et dirigés vers le camp. Nous avons marché. Nous avons marché. Le 3ème jour, le camion de ravitaillement a disparu. Le SS et les 3 détenus allemands qui étaient à bord «se sont trompés de direction ». Nous nous serrons un peu plus la ceinture. Il y a déjà une vingtaine de morts, des français, polonais, belges, russes. On les retrouve le matin, les yeux grands ouverts, la figure sans expression. Morts d’épuisement.
Il faut marcher. Le 5ème jour nous faisons 15 km. Nous sommes à Bremervörde. Nous prenons la direction de la gare. Il y a déjà 5 à 6000 personnes réunies de tous les Kommandos dépendant de Neuengamme. Certains n’ont pas mangé depuis 2 à 3 jours. Ils sont partout, dans les wagons, entre les rails. Corps amaigris, crânes ras, faces pâles et barbus. Tous en vêtement rayés bleu et blanc, en loques. Nous avons retrouvé dans un train nos 500 malades de Brême. 500, façon de parler. Il y a parmi eux 120 cadavres. Nous arrivons juste à point pour les décharger. Je suis avec Paul et Francis. L’un de nous les prend par les bras, l’autre par les pieds, le 3ème compte. Nos pauvres camarades, j’ai reconnu parmi eux Bernard et le grand Gustave, et le petit lieutenant et d’autres. Ils ne pèsent pas lourd : 40 kg, 35 peut-être. Et hop ! dans les camions municipaux de Bremervörde. Et hop ! pour le crématoire. Nous avons su par la suite leur lamentable odyssée.
Parti de Brême, certains sur de simples plates formes, presque sans rien manger durant huit jours. Grelottant de froid et de fièvre. Sans soins cela va de soi. Mitraillé par surcroit. Ils ont fait ainsi la navette entre leur point de départ de Hambourg pour arriver finalement ici à Bremervörde.
Ah ! Je n’oublierai jamais leurs pauvres visages maigres et barbus, leurs yeux immenses et ouverts sur le même rêve. Ces yeux que nous n’avons même pas pris la peine de fermer. Et hop ! Dans les camions.
- Schnell ! crient tous les Kapos.
Quand les wagons ont été vidés, nous y sommes montés et nous nous sommes couchés sur la paille puante. Cette même paille où les autres sont morts.
Le convoi a pris la direction de Hambourg. Nous avons alors compris que nous regagnons Neuengamme. A Hambourg, nous avons été accueillis par un bombardement. La nuit est noire. C’est le moment de dormir pensons-nous. Un bref conciliabule. Et nous voilà, deux camarades et moi sur le ballast. Mais nous n’avons pas eu le temps de faire 10 mètres.
- Was machen sie da ?
Nous regagnons précipitamment notre wagon. Ce sera pour une autre fois, à moins que…
12 km pour atteindre Neuengamme
- Zu fünf Reihe (Colonne par cinq)
Les SS hurlent, s’égosillent. La trique s’abat sur les échines.
Mais nous ruminons de vengeance. Je vois très bien pour ma part cette vache de Müller pendu par les pieds. C’est cette idée qui m’a permis de tenir les 12 km. Nous passons l’Elbe sur les chalands. Il y a encore eu quelques morts à décharger en atteignant l’autre rive. Paul et moi, les types costauds, nous sommes inévitablement de corvée. Je suis exténué. Mais je crois que quand nous serons crevés tous les deux, il n’en restera pas beaucoup dans la colonne.
Le camp fleuri
1 km avant le camp, le doyen nous a fait arrêter et nous a tenu un petit discours moral. « Vous allez retrouver le camp et sa discipline ». Et de nous rappeler les usages un peu oubliés dans les Kommandos. « Les rangs doivent être parfaitement alignés lorsque les colonnes tournent, l’homme pivot doit marquer le pas, en passant l’entrée du camp, lever la tête et garder les bras immobiles. »
Ah ! ces bras immobiles ! Cela ne parait sans doute rien à ceux qui n’ont pas connu la chose. Mais je ne crois pas exagérer en disant que c’est épouvantable. Que d’attention cette petite cérémonie ne nécessite-elle pas. Et malheur à celui qui oublie.
Les hommes marchent devant et puis brusquement immobilisent les bras. C’est ridicule et odieux à la fois. On croirait des automates, car instinctivement tous se sont mis à marteler plus fortement le sol de leurs pauvres godasses éculées.
Le camp de Neuengamme diffère sans doute des autres en ce sens qu’il a toujours été très propre. Du moins extérieurement. Car, bien entendu on y connait comme ailleurs, les poux et la vermine de toute espèce. Par contre, et l’on reconnait bien la délicatesse nazie, nos baraques sont entourées de parterres de fleurs. Des places spéciales de jardiniers ont même été créées à cet effet. Les fleurs évidemment, cela fait très riche, surtout lorsqu’un Général allemand ou quelques délégués de la Croix Rouge se mêlent de venir faire une petite enquête. Puisqu’il y a des fleurs, le pensent-ils, c’est que tout marche bien. Et de fait, ça marche bien. On y meurt à un rythme satisfaisant. Car les fleurs n’empêchent ni le typhus, ni la pendaison à une potence à 5 places, ni la chambre d’exécution, ni le crématoire.
Les fleurs de Neuengamme, cela me donne, je ne sais pourquoi, envie de rire. Ou plutôt, si, je sais, je songe à une chanson qui se chantait durant ces dernières années du côté de Vichy. « Une Fleur au chapeau ».
Nous sommes restés 3 jours à Neuengamme, 3 jours durant lesquels les détenus Norvégiens et Danois ont été libéré en présence de délégués de la Croix Rouge suédoise. Nous pensions, les veinards. Les optimistes dirent y a du bon.
Le 3ème jour nous quittons les blocks par groupes de cinquante. Direction la gare du camp. Les délégués suédois nous observent. Nous sommes bien alignés. Mais une fois à la gare, nous ne sommes plus dans leur champ visuel et par la grâce de quelques triques les groupes de 50 deviennent des groupes de 70 à 90. Les wagons eux sont bien entendu des wagons « hommes 40, chevaux 8 ». Les sentinelles chargées de notre garde occupent déjà la moitié de la surface. Et malheur à qui empiète sur leur territoire.
Embarquement
Lorsque nous arrivons à Lübeck, nous mourons de soif. Comme je parle allemand, je me charge d’aller chercher de l’eau avec un autre. Il y a déjà 5 à 6 trains de déportés dans la gare, uniforme, bleu et blanc ou vêtements civils avec un croix jaune dans le dos.
La sentinelle m’a dit en confidence :
- « On va vous embarquer sur des bateaux et puis on vous coulera. »
C’est un gros lourdaud, d’ailleurs inoffensif. Il m’a dit cela d’un ton tranquille, histoire de m’informer. Nous couler ? Salauds ? Ah ! tu te figures que je vais croire un tel bobard. On n’envoie pas comme ça 15 000 hommes par le fonds. Une histoire comme ça ferait du bruit dans le monde. Bien entendu, ce sont des réflexions intérieures. Oui, sûrement cela ferait du bruit.
Je crois encore au bruit. Et mes camarades du wagon aussi lorsque je leur apporte la nouvelle. Sûr qu’ils ne peuvent pas faire une chose pareille. On m’oppose d’ailleurs d’autres rumeurs en cours. On déclare par exemple que nous serions évacués en Suède et placés sous le contrôle de la Croix Rouge internationale.
Pourtant, lorsqu’un peu plus tard, nous sommes allés au ravitaillement avec des camarades russes et que nous avons aperçu sur le quai des files de détenus embarquant sur des navires nos estomacs ont commencé à se serrer étrangement. Après tout, qu’est-ce que cela peut bien leur faire aux nazis « le bruit ». Il y a bien longtemps qu’ils ne s’inquiètent plus de ce qu’on fait pour nous.
« Et puis, on vous coulera ! » Les paroles de la sentinelle m’obsèdent. Tout le monde y pense. D’abord notre wagon. Bientôt tous. Notre tour est venu d’embarquer. Il y a 2 navires à quai. On lit en grosses lettres sur leur coque : « Tielbeck » et « Deutschland ». Un SS nous dénombre à coups de matraque. Les Kapos nous font descendre à fond de cale. Et toujours :
- « Schnell ! Loss !
Il en descend sans cesse. Combien sommes-nous, 2000 peut-être ? Les premiers descendus ont cherché à s’installer. Mais les nouveaux arrivants protestent. Il y a discussions, injures, chocs. Un SS rétablit l’ordre en tirant par l’écoutille des coups de pistolet. Un de mes voisins est atteint par une balle explosive. En une minute sa jambe est grosse comme un carafon. On le remonte sur le pont. Nous ne le reverrons jamais.
A fond de cale
Ah ! ce soir, celui que nous avons passé dans cette cale. Ce soir ? 2 000 hommes à la recherche d’un endroit pour s’asseoir, car de s’allonger, il n’est pas question. Des cris, des injures, des hurlements en français, en russe, en polonais.
Ceux qui ont le malheur de détenir encore quelques vins ou cigarettes se sont vus dépossédés par des forts à bras de toute nationalité ?
Je suis tellement fatigué que j’ai quand même fini par m’endormir. Combien de jours sommes-nous restés ainsi… Je ne pourrai le dire : 4, 5, 6 peut-être, avec 150 g de pain par jour et un peu d’eau chaude, baptisée suivant les circonstances soupe ou café. La chaleur est épouvantable. Pour empêcher les détenus de monter sur le pont, les allemands ont fermé les panneaux. Nous suffoquons, nous mourons de soif. Une odeur épouvantable règne dans la cale, ça hurle de tous les côtés. « A boire, de l’eau, Wasser, Vode … »
Certains boivent leur urine. D’autres, l’eau saumâtre qui croupit sous les planches. Les plus sages recueillent les gouttelettes qui perlent le long des parois.
Il y a eu tout d’abord, des fous qui rugirent. Et puis des morts, qu’on remonte avec une corde. Dans un coin de la cale, on a installé une infirmerie. C’est une plaisanterie. Le moral baisse de plus en plus. On n’en sortira pas à moins d’un miracle. Et tout le monde attend un miracle.
Sur le pont, il n’y a que des SS et les détenus allemands. Quelques personnes étrangères aussi, des privilégiés. L’objectif pour chacun d’entre nous est de parvenir à grimper là-haut et de s’y camoufler. Il y a queue au bas de l’échelle, pour tenter sa chance. On se bat, on s’injurie. Et en haut, un kapo, vous reçoit à coups de gourdin, quand il ne vous renvoie pas d’une poussée à fond de cale.
Les bruits les plus divers continuent à circuler, différents suivant qu’ils sont d’origine russe, polonaise ou française : « On appareille cette nuit ? On débarque cet après-midi. On reste à Lübeck ! »
Et puis dominant tous ces bouteillons, cet autre toujours comme un bourdon funèbre :
« On va vous couler en haute mer »
Hirsutes, sales, couverts de poux, les hommes sombrent dans la prostration. On ne se parle plus que par monosyllabes. Bientôt c’est presque le silence, avec seulement, de temps en temps, une plainte et un gémissement.
Transbordement
Combien de jour ? 3, 4, 5.
Un après-midi, on nous a fait remonter. Nous apercevons du pont un 3ème navire qui est venu prendre place près du Tielbeck et du Deutschland. C’est l’Athen, un cargo également. Sur les quais, des colonnes, encore des colonnes de déportés. Dans la gare, également, des trains remplis d’hommes à pyjamas rayés. Vision fugitive. Moins de 10 minutes après, nous sommes dans la cale du Deutschland. Notre changement n’est d’ailleurs pas sans présenter certains avantages. Nous disposons d’un espace plus vaste. Et puis nous avons pratiquement de l’eau douce à volonté, un mini filet d’eau qui coule d’une tuyauterie crevée. Une ½ heure après notre transbordement, les machines se sont mises à ronronner.
Nous appareillons. Pour quel destin. Toujours la même et angoissante question. Au fond cela commence par nous devenir égal. Tout nous devient égal. Ce qui doit arriver est écrit. Nous n’y pouvons rien. Je rêve à des jours heureux de mon passé, à ma mère, à mon frère et je finis par m’endormir. La 1ère nuit tranquille depuis notre embarquement.
Nous ne sommes restés qu’un jour à bord du Deutschland. Une nouvelle fois nous sommes remonté sur le pont. Nous nous sommes retrouvés dans une rade dont nous apercevons au loin la côte drapée par la brume. Nous saurons plus tard que c’est la baie de Neustadt. Tout près de notre cargo, un immense paquebot est immobile, le Cap Arcona qui faisait jadis le trajet Hambourg Amérique du Sud. Sur notre pont, les allemands sont rassemblés avec leurs bagages. Ils bavardent, plaisantent, rient.
Brusquement. Nouveau transbordement ; et nous voici sur le Cap Arcona. Nous demeurons quelque temps sur le pont, dans un vent glacé. Le vent de la Baltique. Nous grelottons sous nos pauvres pyjamas. C’est alors que nous retrouvons le Rapport Führer qui était chargé de l’appel au Kommando de Brême. C’est un vieux sergent de la Wehrmacht à moustache impériale. Nous l’appelons, le vieux fripon parce qu’il se livrait au Kommando au trafic de montres, trafic qui lui rapportait beaucoup d’argent.
- « Vous allez être très bien. Cabines luxueuses, eau froide, eau chaude. »
Plaisante-t-il ? Non. Les premiers d’entre nous sont en effet logés dans des cabines. Mais les derniers dont je suis, sont une nouvelle fois bons pour le fond de cale. Plus exactement les soutes à bagages. Nous y trouvons déjà, derrière des barreaux, des prisonniers qui sont là depuis quelques jours.
Il nous faut de nouveau, nous installer. Cela se fait tant bien que mal. Vieilles chaises, vieux fauteuils, caisses, tout ce qui est susceptible de servir de siège ou de couche, trouve immédiatement preneur. Un courant d’air qui s’engouffre par l’écoutille et par les trous d’aération nous glace du matin au soir. Encore deux jours, ou bien trois. Je ne sais plus. Nous sommes las. Las de tout et surtout de cette lamentable litanie de complaintes que certains s’obstinent de psalmodier depuis des semaines.
Cette fois nous sommes bons. On va nous extraire. Mais las aussi des appels, des contrôles qui ne cesseront jamais. Encore une fois nous voila ramenés sur le pont et groupés par nationalité.
L’Athen se trouve de nouveau au flanc du Cap Arcona. Nous subissons en soupirant le transbordement. Les russes à fond de cale, les français et les belges dans l’entrepont. Comme ça ou autrement, qu’est-ce que cela peut nous faire. L’essentiel est de dormir pour ne penser à rien.
La délivrance
Nous dormons. La deuxième nuit, le cargo s’est mis en marche. Nous dormons quand même. Mais soudain des explosions nous arrachent du sommeil. Des cris. Ca y est on est en train d’y passer. Mais rien ne se passe. Et personne ne peut dire ce qui arrive. C’est Paul, le jeune alsacien qui parvenu à demeurer sur le pont, est descendu nous prévenir.
Le Cap Arcona est en train de brûler. Des avions anglais survolent la rade et bombardent tous les bateaux. Les SS ne veulent pas descendre le pavillon à croix gammée.
Nous songeons à nos camarades demeurés à bord du Cap Arcona, à ceux du Tielbeck, à ceux du Deutschland. Que sont-ils devenus. Mais les détonations se font de plus en plus nombreuses, de plus en plus violentes et ne nous laissent pas le temps de penser. C’est la DCA de notre bateau qui entre en action. Nous voici debout, possédés de nouveau par la crainte, mais animés aussi d’un nouvel espoir. Du moins ceux qui savent nager.
Un moment d’accalmie. Puis soudain, sans que rien ne puisse le laisser prévoir, des hommes se précipitent vers les escaliers de cordes.
Dès lors, c’est une véritable ruée. Et la panique, on s’empoigne, on s’injurie. Enfin me voici à l’air libre. D’un côté la terre à 50 m à peine. Dans la rade, le Cap Arcona est en train de brûler. Une épaisse fumée s’élève du navire, dont s’éloignent des embarcations. Des sous-marins qui se sont sabordés ou qui ont été touchés par les bombes anglaises achèvent de couler.
Déjà sur le pont, des détenus pillent les caisses de verres, malgré la vigoureuse intervention des allemands. D’autres s’occupent du magasin d’habillement, mais pas un SS à bord. Ils ont tous disparu mystérieusement.
Que se passe-t-il donc ? Les évènements sont en train de prendre une curieuse tournure. Je commence à m’en rendre compte quand je m’aperçois que notre bateau est à quai et que les hommes descendent à terre.
Terre ! Notre embarquement n’a peut-être pas duré plus de 15 jours, mais combien de nous auront prononcé ce mot. Et avec quelle ferveur. Etrange soulagement que celui ressenti lorsque nous avons de nouveau foulé le plancher des quais. Des soldats allemands distribuent des cigarettes et du pain. Ils insistent et nous avons véritablement l’impression d’être obligé de les accepter.
Oui ! L’affaire prend une curieuse tournure. A une cinquantaine de mètres, sur un petit monticule, un tank tire. D’autres détonations répondent. Certainement, pensons-nous, les anglais ne doivent pas être loin.
Il m’a fallu une ½ heure pour me rendre compte que le char qui tirait à 50 m, était un char anglais.
Nous étions libres, libres, libres, libres.
L’épouvantable bilan
Notre joie, hélas ! devait bientôt se nuancer d’amertume. Des camarades nous apprennent en effet que le Tielbeck et le Deutschland sont par le fond avec tous les prisonniers qui s’y trouvaient. Quant à ceux du Cap Arcona, ils ont également péri à l’exception des 2 ou 300 rescapés qui ont pu gagner le rivage à la nage.
Nous avons vu ces rescapés. Ils nous ont conté comment les malades qui se trouvaient dans l’infirmerie du navire avaient été achevés à coup de mitraillettes par des SS fanatiques. Ils nous disent aussi comment eux-mêmes avaient été pris comme cibles alors qu’ils se débattaient dans l’eau, par des nazis montés sur des chaloupes. Nous avons su d’autres choses encore. Par exemple qu’une péniche transformée en infirmerie avait été coulée par un sous-marin et que sur 12 000 à 13 000 hommes, nous n’étions que 3 000 survivants.
Récit vécu par Henri Le CUNFF, déporté politique.