La Maltière et les fusillés
Il est un endroit des environs de Rennes qui, aujourd’hui encore, résonne sinistrement dans maintes oreilles : la butte de la Maltière. Là, le 30 décembre 1942, 25 résistants communistes sont exécutés par mesure de répression en application d’une condamnation prononcée trois jours plus tôt par le tribunal de guerre allemand siégeant à Rennes. Au total, de septembre 1940 à la Libération, en août 1944, ce sont 89 résistants qui sont fusillés sur cet ancien champ de tir du 10e corps d’armée. Pendant la Première Guerre mondiale, la Maltière est en effet un grand camp militaire où sont notamment stockés bon nombre d’obus produits non loin de là, à l’arsenal. Dès juillet 1940, les Allemands occupent le camp mais rapidement, le polygone de tir de la Maltière, autrefois dévolu à l’entrainement des conscrits du 41erégiment d’infanterie, devient l’endroit où s’applique une justice d’exception …
Il est vrai que l’endroit ne manque pas d’atouts. Proche de Rennes, le lieu est desservi par une voie ferrée, dont les vestiges sont encore visibles, et par la route, ce qui permet d’acheminer les détenus facilement. Mais, isolée, la butte de la Maltière est aussi à l’abri des regards et permet de discrètes exactions.
La question des fusillés pendant la Seconde Guerre mondiale est indissociable de sa mémoire et notamment de l’utilisation qui en est faite dès la Libération par un Parti communiste qui n’hésite pas à se proclamer comme le « parti des 75 000 fusillés ». La mémoire étant, là encore, l’outil politique du temps présent, il s’agit alors de contrer l’influence gaulliste et de se présenter comme le seul héritier de l’Armée des ombres, quitte à pratiquer l’inflation des morts. Il faut en effet attendre le début des années 2000 pour que les fusillés deviennent un véritable sujet d’histoire… et soient traités en tant que tel. C’est ainsi qu’en ouvrant ce vaste chantier historiographique, Thomas Pouty et le regretté Jean-Pierre Besse1 sont confrontés à des notions très proches mais qui renvoient à autant de catégories différentes de la répression victimes de nazie : il y a les fusillés mais aussi les otages, les exécutés, les massacrés… Il leur faut donc produire un effort de conceptualisation pour circonscrire cette notion et les deux historiens finissent par s’accorder sur cette définition du fusillé qui est compris comme une personne qui, « ayant été reconnue coupable de faits portant préjudice à la sécurité des troupes allemandes en France ou au gouvernement de Vichy, a été condamnée à mort par un tribunal militaire allemand ou une juridiction française puis passée par les armées ». Et finalement, au prisme de cette définition, c’est au nombre de 4 000 victimes qu’aboutissent Thomas Pouty et Jean-Pierre Besse.
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Carte postale publiée dans l'immédiat après-guerre dans le cadre d'une souscription pour l'érection d'un monument. Collection particulière. |
A la Maltière, pendant la Seconde Guerre mondiale, 89 résistants sont fusillés en application d’une condamnation à mort prononcée par un tribunal militaire allemand. Le premier l’est le 17 septembre 1940. Il s’agit de Marcel Brossier, qui est d’ailleurs le premier condamné à la peine de mort pour un acte de Résistance commis en Ille-et-Vilaine (en Bretagne, c'est Joseph Trigodet, fusillé le 6 septembre 1940 à Assérac qui inaugure cette longue litanie). Son crime ? Avoir sectionné un câble de transmission téléphonique de l’armée allemande… Pendant les premiers mois d’occupation, les Allemands mettent en place leur système judiciaire tout en tentant de se montrer sous leur meilleur jour vis-à-vis de la population et des autorités de Vichy, engagées sur la voie de la collaboration. Si quelques condamnations à mort sont prononcées, elles le sont dans un but pédagogique, comme autant de démonstrations de force vis-à-vis de la Résistance. Elles permettent également à l’occupant de se poser en victime des actes de sabotages et non en oppresseurs sans pitié, comme par exemple dans le cas de Marcel Brossier.
L’année 1942 est, du point de vue de la répression allemande en France occupée, véritablement celle des fusillades. A cet égard, la journée du 30 décembre 1942 en est un triste symbole. Même si en données brutes ce n’est pas l’année où l’on fusille le plus, c’est bien par ce biais que s’exprime essentiellement la répression allemande en France occupée, plutôt que par la déportation. La tendance s’inverse à partir de 1943 et plus encore en 1944. Même si la radicalisation de l’occupant dans les mois qui précèdent la libération contribue à une hausse dramatique du nombre de personnes fusillées, comme le confirme le cas de la Maltière, c’est bien désormais sur un plan extrajudiciaire que s’exprime principalement la répression, multipliant les massacres et autres exécutions sommaires.
Aujourd’hui encore le nom de plusieurs victimes sonne familièrement aux oreilles des Rennais. Emile Gernigon, Yves Le Bitous, Albert Martin ou encore René Nobilet sont en effet autant de résistants qui, appartenant à des organisations proches du Parti communiste, ont été fusillés à la Maltière et en mémoire de qui une rue de la ville a été baptisée. Comme pour mieux dire : « Passant : souviens-toi ! »
Erwan LE GALL
1 BESSE, Jean-Pierre et POUTY, Thomas, Les Fusillés. Répression et exécutions pendant l’Occupation (1940-1944), Paris, Editions de l’Atelier, 2006.