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Témoignage d'agent de liaison : Denise ELICOT
receveuse des postes au Roc-St-André
Je suis entrée aux P.T.T en septembre 1938. Après plusieurs remplacements dans le département, j'ai été nommée comme receveuse intérimaire le 15 janvier 1941 au bureau de Poste du Roc-St-André,dont le receveur était prisonnier en Allemagne. Jusque là, le bureau avait été tenu par son épouse. J'étais seule dans le bureau, l'épouse du receveur étant partie vivre dans sa famille à Nantes. Je disposais en plus du bureau, de la salle d'attente et d'une petite cuisine dont une porte de sortie donnait sur la cour et petit jardin. J'ai dû amener mon lit, car la pièce était vide.
C'est la mairie qui me fournit table et chaises. Comme chauffage, une cheminée dans la cuisine et un poêle dans le bureau, mais ni bois ni charbon. Le maire dut y pourvoir.
En fin 1942, le lieutenant de gendarmerie de Ploêrmel, Guillo, est venu me trouver. Il m'a fait remarquer que j'étais seule dans ce bureau, puis il m'a dit qu'il avait besoin justement d'un bureau de poste pour aider la résistance qu'il organisait dans le secteur. Il m'a demandé si j'acceptais de collaborer avec lui. J'ai accepté de bon cœur. J'avais vingt deux ans. A cet âge là, on a tous un idéal ; je suis partie avec beaucoup d'enthousiasme, sans réfléchir aux conséquences que cela pouvait comporter.
J'ai commencé par servir d'agent de liaison, assurant des communications téléphoniques clandestines. Je me suis occupée de la fabrication et de la distribution de fausses cartes d'identité. J'en ai distribuées sur six cantons. Dans chacun de ses cantons, un résistant se chargeait de récolter les photos d'identité. Les noms : ceux de garçons désignés pour le S.TO. ou d'hommes obligés de se cacher. S'il n'y avait pas de photo, c'était le facteur Jean Le Coq qui, avec un appareil à plaques, photographiait les gars que je lui envoyais. Nous travaillions de connivence.
J'ai eu des cachets en caoutchouc qui avaient été fabriqués par Armel Meslé, le mécanicien, et dont le fils travaillait avec moi. Ces cachets imitaient ceux de la préfecture. Les allemands s'en sont aperçus et ont exigé un cachet sec sur toutes les cartes d'identité. A partir de cela, un agent patriote, Raymond Guillard de Lizio, s'était chargé de transporter ces cartes qu'il prenait vierges au bureau de Poste, se rendait et s'introduisait à la préfecture, aidé d'un camarade nommé Pain, puis de nuit, les deux braves apposaient le cachet sec sur ces cartes. Le lendemain, Guillard me les ramenait.
Albert Lebrun de Questembert assurait le transport des dépêches arrivant ou partant en gare de Questembert, pour les bureaux des alentours. Il transportait parfois des sacs postaux contenant des armes et munitions. Il arrivait que ces sacs étaient entreposés dans mon bureau, parmi sacs et paquets. J'ai même dû en mettre sous mon lit.
J'ai aussi hébergé des aviateurs alliés. Plusieurs fois, dans la soirée, on m'a amené des canadiens, des anglais ou des américains. Ils restaient dans la cuisine, moi dans le bureau.
Généralement vers 4 heures du matin (toujours très tôt), un patriote, souvent Emile Guimard, venait les chercher, puis les conduisait jusqu'à Malestroit à pied, le long du chemin du halage. Là une voiture les prenait pour aller prendre le train à Questembert en vue d'être évacués.
J'avais pour m'aider un facteur auxiliaire, Alexandre Caillot. C'était lui qui, sur sa tournée et même bien ailleurs, remettait les fausses cartes aux intéressés. Cet homme a été arrêté en mai 1944. Il a été torturé, avant d'être condamné à mort au Fort de Penthièvre.
Le transporteur du courrier, Albert Lebrun, a été arrêté le 31 mars 1944, chez lui, alors qu'il préparait une voiture pour aller chercher des membres de la résistance qui devaient arriver par l'express de Paris. Il a été fusillé le 8 juin à Rennes.
Témoignage d'agent de liaison : Jeanne BOHEC
« UNE FEMME DANS LA GUERRE : DU 18 JUIN 1940 A LA LIBERATION »
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Engagée le 6 janvier 1941 dans le Corps Féminin des Forces Françaises Libres. Parachutée en Bretagne en février 1944 comme instructeur de sabotage, chevalier de la Légion d'honneur, Croix de guerre 2 palmes, médaille de la Résistance, médaille d'Argent Arts, Sciences, Lettres.
Récit paru en 1977 dans le N° 37 d’ Ami Entends-tu, récit effectué lors d’un colloque qui s’était tenu les 22 et 23 Novembre 1975, à la Sorbonne, à l'initiative de l'Union des Femmes Françaises, colloque dont le thème était le suivant : LES FEMMES DANS LA RESISTANCE, l’ensemble des interventions étant publié en 1977 sous ce titre , aux Editions du Rocher.
“ Ma participation à la Résistance se situe sur un plan un peu particulier. C'est pourquoi je voudrais d'abord retracer mon histoire en quelques mots.
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En avril 1940 j'étais étudiante. Voulant participer à l'effort de guerre, j'entrai comme chimiste à la Poudrerie du Moulin Blanc à Brest. C'est là que le 18 juin 1940, j'appris l'arrivée des Allemands. Je décidai immédiatement de partir par remorqueur pour l'Angleterre continuer à travailler pour la guerre.
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Arrivée à Londres, j'appris l'existence du Général de Gaulle et des F.F.L. Je m'engageai alors dans le Corps féminin des Volontaires Françaises, d'abord comme secrétaire, puis comme chimiste dans un laboratoire étudiant la fabrication artisanale d'engins de sabotage.
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Dès 1942, je demandai au Bureau Central de Renseignements et d’Action (B.C.R.A) de partir pour la France instruire les résistants de nos petites recettes. Je finis par être acceptée, en septembre 1943. Je suivis alors des stages de formation dans les écoles anglaises spécialisées : écoles de sabotage, de sécurité et de parachutage.
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Chargée de mission d'instructeur de sabotage pour la Bretagne avec le pseudo Rateau, je fus parachutée en France le 29 février 44.
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Dans les départements du Morbihan, des Côtes-du-Nord et du Finistère, j'instruisis une cinquantaine de jeunes gens. Lors du Plan Vert de sabotage des voies ferrées, je fis moi-même sauter la voie Dinan-Questembert, en utilisant des détonateurs de ma fabrication. Je participai à la vie du maquis de Saint-Marcel, vaste camp où furent parachutés les S.A.S. du colonel Bourgoin et où 3.500 F.F.I. du Morbihan furent armés grâce aux 68 avions qui se succédèrent toutes les nuits du 6 au 18 juin.
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Après la dispersion du maquis, j'effectuai de nombreuses liaisons entre les trois départements bretons, je dirigeai plusieurs parachutages dans le Finistère, enfin j'étais présente aux combats de la libération de Quimper.
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Voici maintenant quelques précisions sur les points suivants :
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Pourquoi suis-je partie le 18 juin 1940 ?
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Qu'était le Corps des Volontaires Françaises ?
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Enfin, quelles furent mes relations en tant que femme avec les hommes de l'armée régulière d'une part et ceux de la Résistance intérieure d'autre part.
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Pourquoi suis-je partie de France le 18 juin 1940 ?
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Depuis ma plus tendre enfance j'avais considéré qu'en cas de guerre, une femme se devait autant qu'un homme de défendre sa patrie. Fille de marin, j'aurais aimé servir dans la Marine Nationale.
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Ne pouvant l'espérer je me destinais à l'enseignement des mathématiques. A la déclaration de guerre, je rongeai mon frein. J'aurais pu chercher à être infirmière, mais je n'en avais pas la vocation. Je finis donc par me rabattre sur ce travail de chimiste dans une usine travaillant directement pour la guerre.
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Lorsque les Allemands envahirent notre pays, je refusai d'envisager la défaite, d'accepter l'armistice. Je craignais également d'être obligée de travailler pour les Allemands si je restais sur place. Je n'hésitai donc pas et malgré l'incompréhension de mon entourage, je cherchai à partir pour l'Angleterre. La situation géographique de Brest me rendit la chose aisée et c'est ainsi que je rejoignis le général de Gaulle avant même d'avoir entendu parler de lui. En somme je n'ai pas eu de réactions différentes de celles d'un homme à ma place.
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Les Volontaires Françaises
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Le "Corps Féminin" fut créé à Londres à la fin de l'année 1940 sur le modèle des A.T.S. anglaises auxquelles fut emprunté l'uniforme. Simone Matthieu, la célèbre championne de tennis, en prit le commandement avec le grade de lieutenant, assistée de deux adjudants qui avaient servi pendant la guerre 14-18.
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Nous venions de tous les horizons. Les unes se trouvaient en Angleterre au moment de la débâcle, d'autres comme moi avaient franchi la Manche en juin 1940 ou même après, ces dernières comportant un fort contingent de Bretonnes. Par la suite, on vit arriver des jeunes filles venant des colonies les plus éloignées : de Saint-Pierre et Miquelon par exemple, ou même de la Nouvelle-Calédonie, venues nous rejoindre après un long périple.
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Malgré ces origines diverses, des âges s'échelonnant de 18 ans (avoués) aux âges plus avancés (non avoués) — la doyenne devait approcher 60 ans — malgré des caractères et des habitudes de vie différents, nous avions en commun, d'une part une foi inébranlable dans la victoire finale sous le commandement du général de Gaulle, d'autre part, la volonté de servir et de participer à la lutte.
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Nous vivions dans une grande maison du centre de Londres transformée en caserne, à 5 ou 6 par chambrée.
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Tôt le matin, après l'appel et le petit déjeuner, deux fois par semaine, nous faisions l'exercice dans les rues avoisinantes, croisant parfois des équipes de Home-Guard, apprenant eux aussi les manoeuvres militaires.
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Puis c'était la dispersion, chacune se rendant à son travail. Les unes étaient secrétaires dans les différents services des Forces Françaises Libres, d'autres conductrices, infirmières, occupant tous les postes où il était admis qu'une femme pouvait remplacer un homme.
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Un peu plus tard le vocable "Corps Féminin" qui prêtait à sourire, fut remplacé par celui de Corps des Volontaires Françaises et le capitaine Terré prit la place du lieutenant Matthieu.
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Il y eut des promotions. Après une école de commandement, qui avait lieu le matin avant de partir au travail, quelques-unes furent nommées caporaux, d'autres premières classes. Ce fut mon cas personnel. Plus tard encore, certaines accédèrent aux grades de sergent, adjudant puis sous-lieutenant, etc. Quant à moi, je ne dépassai pas le grade de caporal.
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A partir de la fin 43 certaines partirent en Afrique du Nord, les autres après le débarquement revinrent en France sur les traces des Forces Françaises Libres. On sait que le Corps des Volontaires Françaises fut ensuite transformé en prenant le nom d'Auxiliaires Féminines de l'Armée de Terre (A.F.A.T.).
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Quant à moi, je quittai les Volontaires en septembre 43 pour entrer au B.C.R.A. avec le grade de sous-lieutenant pour être envoyée en mission en France.
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Ceci m'amène à mon dernier point :
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Mes relations en tant que femme avec les hommes de l'armée régulière et ceux de la Résistance intérieure.
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L'armée régulière a toujours eu, par essence — dirai-je — la plus grande méfiance envers les capacités du sexe féminin à jouer un rôle dans la guerre.
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Chez les Volontaires Françaises, seuls des postes subalternes et non-combattants nous étaient bien entendu réservés.
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J'eus le plus grand mal à me faire accepter par le B.C.R.A. pour partir en mission. On me répondait "Les Français n'envoient pas de femmes".
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Pourtant dans les services analogues anglais, des femmes avalent été depuis longtemps parachutées. Mon obstination me valut d'être la première des services français à être acceptée. Une fois le principe de nous employer admis, ce furent des missions de radios ou de liaisons qui nous furent proposées. Mes compétences en matière de sabotage finirent par me permettre d'obtenir une mission d'instructeur de cette spécialité considérée comme peu féminine.
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Seule une autre de mes camarades fut également parachutée avec ce type de mission, mais, arrivée en France, son chef décida de ne l'employer que pour faire des liaisons, si bien que je fus la seule femme ayant été effectivement instructeur de sabotage.
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Mais une fois arrivée en France, ma qualité de femme ne causa aucun problème à mes camarades.
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La première surprise passée, je fus adoptée par eux sans référence à mon sexe.
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Je pense que si l'armée régulière était pleine de préjugés dus à des habitudes ancestrales — la guerre est, n'est-ce pas, l'affaire des hommes — l'armée des ombres étant quelque chose de tout nouveau né des circonstances, il n'y avait pas de modèle préétabli à quoi se référer, d'où les femmes seraient exclues.
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Aucun parmi mes camarades à qui j'enseignais le maniement des explosifs ou des armes ne prit un air condescendant à mon égard. Lors du Plan Vert de sabotage de voies ferrées, ils trouvèrent naturel que je dirige moi-même la destruction de l'une d'entre elles. Par la suite, j'organisai également ce qui n'avait pas été prévu dans ma mission, et pour laquelle je n'avais pas de compétence particulière, trois parachutages dans le Finistère.
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Après la dispersion du maquis de Saint-Marcel, dans le petit groupe parmi lequel je me trouvais, je pris seule une nuit, armée d'une mitraillette, une faction de 2 heures comme sentinelle, mes camarades hommes se reposant sur moi du soin de leur sécurité.
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Cette non-discrimination de sexe, me sauva un jour la vie.
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Le chef départemental F.F.I. du Finistère, Poussin, le lieutenant de gendarmerie Jamet, un radio et moi devions à la fin juin 44 nous transporter du Morbihan dans le Finistère dans une voiture de la gendarmerie.
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Mais comme je possédais une bicyclette, [es hommes me laissèrent franchir les 80 km qui nous séparaient de Quimper avec cet engin, eux partant plus commodément en voiture. Or, ils furent arrêtés par les Allemands et fusillés, alors que je passai sans encombre.
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Par contre, à chaque fois que dans les maquis, je fus en contact avec des hommes de l'armée régulière, il en fut autrement.
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A Saint-Marcel, parmi plus de 2.000 F.F.I, se trouvaient les parachutistes S.A.S. commandés par le colonel Bourgoin, 150 hommes environ qui encadraient les troupes du maquis. Le 18 juin 44, nous fûmes attaqués par les Allemands.
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Sans vouloir rivaliser avec les paras, il est certain que je connaissais mieux que la plupart des présents, le maniement des armes, ayant reçu un entraînement approprié en Angleterre.
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Malgré cela, il me fut interdit par les paras de toucher à une arme et de me battre avec eux.
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Au début d'août 44 ce furent les combats pour la libération de Quimper.
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Les F.F.I. étaient armés grâce aux parachutages que j'avais dirigés. Ils devaient donc leur armement à mon intermédiaire. Mais une équipe Jedburgh composée d'un capitaine français, d'un Anglais et d'un Américain avait été parachutée pour coiffer les chefs du maquis et diriger les opérations.
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Malgré ma demande pressante, là non plus je ne pus obtenir le moindre Colt ou Stein.
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"Ce n'est pas la place d'une femme !" me dit d'un air suffisant le capitaine français.
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Et c'est ainsi que je fus frustrée de la satisfaction de prendre part aux derniers combats.
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Jeanne BOHEC Alias Râteau ou Micheline
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Ci-dessous quelques extraits du livre autobiographique “ la plastiqueuse à bicyclette” portant sur la période du 18.06.1940 au 29.02.1944 ( édité par le Mercure de France en 1975), livre dont Jacques Chaban Delmas indiquait dans l’avant propos : “ Ce livre se lit comme un roman. D’autant plus passionnant qu’il est celui d’une aventure volontairement et pleinement vécue”.
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( Les intertitres sont de la rédaction)
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Tradition familiale et vocation contrariée ( page 1):
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Je suis bretonne, fille et petite-fille de Bretons. On trouverait trace de mes ancêtres paternels et maternels dans cette région, à la limite du Léon et du Trégor, qui relie Morlaix à Lannion.
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Un coffre de mariage du XVI siècle, ayant appartenu à une de mes aïeules du temps de la duchesse Anne, n'était pas sorti du pays avant que mon père m'en fit cadeau.
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Fille de marin, si le sort m'avait dotée de chromosomes XY, nul doute que c'est versla mer que se seraient tournées mes activités. Sanglé dans un uniforme bleu marine croisé, avec une casquette à galons dorés, je me serais vu sur la passerelle d'un croiseur, scrutant l'horizon.
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Plus tard, peut-être des femmes pourront-elles envisager de telles carrières; je suis née trop tôt.
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Quitter Brest pour continuer le combat ( pages 11 à 15):
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17 juin 1940. Ce matin-là, sur le trajet du car, nous rencontrâmes des camions anglais abandonnés sur le bord de la route. .....Les journaux étaient pleins de mauvaises nouvelles. On parlait d'armistice. Non, jamais! Ce n'était pas possible! On ne ferait pas cela! Il fallait continuer à se battre. Mais pourquoi n'avait-on pas de chefs capables? Je ne comprenais pas, je ne comprendrai jamais!
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....Le 18 juin débuta comme les autres jours : Trajet le matin en car. Début des analyses. Déjeuner. Puis reprise du train-train journalier. Tout à coup, vers quinze heures, pendant les distillations, on vint frapper à la porte : “ Arrêtez tout, on évacue l'usine, les Allemands seront là dans deux heures”......
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......Je passai chez des cousines qui habitaient non loin de là et leur annonçai mes inten- tions. Bien entendu, elles me désapprouvèrent. “ Comment vas-tu faire? Descendre au port de commerce et trouver un bateau pour partir en Angleterre.Tu es folle ! Que diraient tes parents ! ”
Mes parents étaient loin et j’étais décidée . .....
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Voici l'Abeille 4, je lus son nom sur la poupe. Sur le pont s'affairaient quelques marins. A mes questions, l'un d'eux me fit enfin la réponse que j'attendais :« Oui, nous partons vers l'Angleterre. Oui, vous pouvez monter. » Je ne me le fis pas dire deux fois. Me voici à bord. Il était temps.
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Quelques minutes plus tard, nous levions l'ancre. A bord, cinq ou six hommes d'équipage avec deux ou trois de leurs épouses, et une famille de quatre personnes accompagnées de leur chien.
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.....On ne voyait plus personne le long des quais. L'ennemi était arrivé à l'extrémité de la France. Seule la mer l'arrêtait. Nous appareillâmes. Avant d'avoir parcouru deux cents mètres, nous fîmes demi-tour. Que se passait-il? Nous accostâmes à nouveau. Une centaine de soldats nous attendaient, sur le pont d'un autre bateau, en bordure du quai. Ils portaient l'uniforme français, mais ils étaient étrangement silencieux.
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Bien vite, nous nous aperçûmes qu'il s'agissait d'une compagnie de soldats polonais avec quelques officiers. Pauvres gens! Ils avaient fui leur pays pour continuer à se battre. Ils avaient eu confiance en la France et en étaient au même point qu'il y avait neuf mois : ils devaient se replier à nouveau pour se battre plus loin. Moi aussi, je fuyais mon pays, non par peur des Allemands, mais pour continuer à participer à l'effort de guerre.
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Comme française, je sentis pour la première fois les responsabilités de la France dans la guerre vis-à-vis de ses alliés. Et nous avions capitulé! J'avais honte du gouvernement qui avait demandé l'armistice, honte du maréchal Pétain, octogénaire sénile, qui osait représenter la France!
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Nous appareillâmes à nouveau. Mais le patron de l'Abeille 4 était un homme de devoir. Son bateau était un remorqueur et avant de nous éloigner de la côte, nous halâmes hors du port un plus gros navire, le Massina, chargé à craquer de réfugiés. Plus tard, j'apprendrai qu'en essayant de revenir en France, ce bateau avait été coulé.
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Vingt heures. Dans les dernières lueurs du couchant, je regardais la côte s'éloigner. Pour la première fois, je quittais ma patrie. Quand la reverrais-je? Longtemps je restai là, essayant de démêler dans les ombres de la nuit les fumées des incendies.« Allons, ne regardons plus en arrière! » Nous nous éloignâmes de Brest sans autre incident.
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L’engagement dans les F.F.L ( pages 28, 29, 32 à 35):
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....J'allais souvent me renseigner au QG. des F.F.L. à Carlton Gardens des possibilités de travail pour moi. Je songeais toujours à la chimie. Je rencontrai un ingénieur, le commandant Morin, qui me parla d'un projet de constitution d'une équipe de techniciens français pour travailler dans une usine à créer, dans un lieu qui n'était pas encore choisi. J'attendis vainement.
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C'est la raison pour laquelle je ne fus pas dans les toutes premières à m'engager dans le Corps féminin des Volontaires françaises qui fut créé au début de décembre 1940 sur le modèle des A.T.S.
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Quand il fut avéré que le projet d'équipe de chimistes français ne prenait pas corps, je décidai de m'engager moi aussi.
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C'est ce que je fis, le 6 janvier 1941. Mon acte d'engagement porte la mention manuscrite : « Engagée pour la durée de la guerre plus trois mois. » C'était la formule habituelle. Ce fut également pour moi le temps exact de mes services militaires. J'ai été démobilisée le 31 août 1945.
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......Les Volontaires françaises vivaient en caserne dans une grande maison au centre de Londres, dans Hill Street. .....J'ai gardé mon livret militaire appelé « Soldier's Service Book », le même que celui des soldats anglais. On y lit, sur les pages deux et trois, mon numéro matricule : 70 085, mon identité, ma religion : catholique, ma date d'engagement : 6-1-41 avec la mention : « a signé son acte d'engagement définitif », et mon signalement : taille 1,49 mètre, poids 47 kilogrammes, yeux bleus, teint pâle, cheveux châtains........
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D'où venaient les Volontaires françaises?
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Beaucoup étaient des réfugiées de France comme moi, mais aussi des Françaises vivant déjà en Angleterre, certaines mariées à des Anglais. D'autres, des Anglaises préférant servir chez nous, soit parce que mariées à des Français, soit parce qu'ayant beaucoup d'affinités avec notre pays. Un peu plus tard, nos rangs furent grossis de femmes venues des colonies et territoires français ralliés.
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Lors de mon engagement nous étions une vingtaine; nous étions deux cents quand je quittai les Volontaires en 1943. Par la suite, leur nombre ne cessa de croître jusqu'à leur transformation en A.F.A.T. (Auxiliaires féminines de l'Armée de terre) et en Auxiliaires de l'Aviation et de la Marine. Nous avons été vraiment le premier Corps de femmes de tous les temps, en dehors des services sanitaires, enrôlées régulièrement dans l'armée française. Au bout de quelques mois cependant, on supprima le terme « Corps féminin » qui prêtait le flanc à des plaisanteries trop faciles, et nous devînmes simplement le Corps des Volontaires françaises.
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Tous les milieux sociaux et tous les âges étaient représentés, depuis la benjamine qui n'avait pas dix-huit ans jusqu'à la plus âgée qui avait dépassé la cinquantaine.
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A notre tête le capitaine Simone Mathieu, l'ancienne championne de tennis, et le lieutenant Hackin, qui partit bientôt en mission en Afrique avec son mari et périt avec lui en mer, sur leur bateau torpillé par un sous-marin.
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Deux sous-officiers, l'une grande et forte mais bonasse sous ses airs bougons, l'adjudant Belhomme et une autre, petite, sèche et assez « pète-sec ».
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Beaucoup de Bretonnes : Yvette Lhostis, encore plus petite que moi; Yvonne Guiziou; Le Quéré; Pessel; Cozic, jolie fille de Locminé; Bondu, qui traversa la Manche avec quelques marins sur une simple barque de pêche venant du Faouet; Nadine Smith.
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Des Françaises d'autres régions de France : Marchand, au caractère difficile; Fréchou; Germaine, que je devais retrouver après la guerre, propriétaire d'un cabaret à Montmartre; deux soeurs toujours impeccables; Malaroche; Rosette. Leurs noms me reviennent en vrac......
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La mort de Malaroche ( page 43):
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J'eus la chance de ne jamais me trouver dans un bâtiment bombardé. Mais une de nos jeunes camarades, Malaroche, fut tuée lors du bombardement de notre caserne principale à Hill Street.
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Une nuit, pendant le bombardement, elle était descendue à la cuisine en sous-sol préparer du thé pour tout le monde. Une bombe arrivant de biais pénétra dans ce sous-sol et explosa, la tuant net.
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Je me souviens de son enterrement. Elle fut inhumée dans un cimetière de banlieue. Nous fîmes cortège au cercueil porté par des soldats français et recouvert du drapeau tricolore. Nous avions toutes beaucoup de chagrin, car Malaroche était très aimée. Elle reçut la croix de guerre à titre posthume.
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...Je travaillai comme secrétaire jusqu'au printemps 1942. A ce moment-là fut décidée la création d'un laboratoire de recherches assez spéciales, dépendant du Service Technique et de l'Armement.
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Dans ce laboratoire, sous la haute direction de M. Guéron, qui, après la guerre, fut directeur au Commissariat à l'Énergie atomique, on devait rechercher les meilleures manières de fabriquer des engins de sabotage avec des produits courants pouvant être achetés chez un pharmacien ou un droguiste, les résultats étant bien sûr destinés à la Résistance qui grandissait de jour en jour en France.
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....Mes connaissances en chimie me permirent d'être désignée pour travailler dans ce laboratoire, qui occupait la salle de travaux pratiques de chimie, dans les locaux du lycée français de Londres (dont les élèves avaient été évacués à la campagne). Le reste des locaux était affecté au Q; G. des Forces aériennes françaises libres....
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Enfin recrutée en août 1943 par le B.C.R.A pour une mission en France ( pages 72, 99,100, 101)
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A la fin d'août 1943, la convocation tant attendue arriva. Je me rendis à Duke Street, où étaient installés les bureaux du B.C.R.A. Je fus reçue par le commandant Saint-Jacques.....
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Après quelques semaines d'attente, Duke Street m'annonça que j'avais été choisie comme instructeur de sabotage pour la région M3 (Bretagne). J'étais chargée de mission de 2e classe correspondant au grade de sous-lieutenant. Cette nouvelle me remplit de joie. Enfin j'allais réaliser mon plus cher désir.
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On me fit part de mon nom de code : Râteau. Il était d'usage de donner aux agents un nom de code indiquant leur mission.
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Les D.M.R. (Officiers délégués militaires de région) envoyés pour diriger l'organisation paramilitaire de chaque région, avaient des pseudos tirés de la géométrie. Ceux qui opérèrent dans la région M (l'Ouest) et leurs adjoints s'appelèrent Méridien, Parallèle, Latéral, Fonction, Hauteur. Dans le reste de la zone nord, il y eut Cissoïde, Triangle, Diagonale, Ligne, Lemniscate. En zone sud : Carré, Circonférence, Trapèze, Droite, Ellipse, Pyramide. Ils avaient à leur tête le délégué militaire national (D.M.N.) Arc. Ce dernier n'était autre que Jacques Chaban-Delmas
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Les B.O.A. (Bloc d'opérations aériennes pour la zone nord) étaient des officiers chargés des parachutages et des atterrissages. Ils portaient des noms de savants : Ampère, Galilée, Mariotte, Faraday, Gauss, Gramme. Dans la zone sud les S.A.P. (Sections d'atterrissages et de parachutages) étaient parés de titres : Marquis, Archiduc, Nonce, Baron, Évêque, Pape.
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Les outils de jardinage étaient réservés aux instructeurs de sabotage : Faucille, Fléau, Hache, Pelle, Pioche, Plantoir, Sarcloir, Serpe et... Râteau.
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Quant aux radios, ils devenaient des habitants de pays ou de provinces tels que : Assyrien, Basque, Burgonde, Carthaginois, Créole, Corse, Égyptien, Étrusque, Germain, Kurde, Nivernais, Provençal, Tonkinois, Turc, Wiking ou Zélandais.
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Je n'ai pu citer que quelques personnes de chaque catégorie et je prie les autres de bien vouloir m'en excuser.
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Nous fûmes seulement deux femmes à être envoyées par le B.C.R.A. de Londres comme instructeur de sabotage : Marguerite Petitjean (Binette) et moi. Binette, recrutée après moi, eut la chance de pouvoir partir un peu avant. Parachutée en R. 2 (Provence-Côte d'Azur), à peine arrivée son D.M.R. Circonférence la prit comme officier de liaison. Je pense donc être la seule femme ayant été effectivement saboteur. En dehors de Danièle dont j'ignore le pseudo, de Binette et de moi, seule une autre femme, à ma connaissance, fut parachutée par les autorités françaises de Londres en mission d'action.
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J'avais besoin de faux papiers. Le choix du nom à y porter m'était laissé. J'en voulais un qui ne fût ni trop banal, ni trop étrange.
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Je m'arrêtai à celui de Guichard auquel j'ajoutai le prénom Geneviève. On me prépara une carte d'identité, une carte d'alimentation et une carte de textile à ce nom.
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Restait à trouver un prénom pour la vie courante : il était inutile de divulguer celui de la fausse carte. Je choisis Micheline. Personne en dehors de mes chefs directs ne me connaîtrait sous un autre nom. Et longtemps après la guerre des amis de la Résistance essaieront sans succès de retrouver Micheline, redevenue Jeanne Bohec.
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J'étais heureuse que la région choisie fût la Bretagne. Je savais par la Croix-Rouge que mes parents avaient quitté Angers et étaient venus s'installer à Rennes, 16, rue de l'Alma. Je communiquai leur adresse au B.C.R.A. Elle me servirait d'adresse de secours. Si je me trouvais un jour coupée de tout, je m'y réfugierais et le B.C.R.A. enverrait une liaison pour m'y retrouver.
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Enfin parachutée pour une mission en France ( pages 108 à 109) dans la nuit du le 29.02 au 01.03.1944 sur le terrain Ouragan près d’Alençon
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A vingt-deux heures retour au bureau, coup de téléphone: “C'est bien pour ce soir. Nous partons.”
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Arrivée à la base, après avoir bu un café chaud, je m'équipai une fois de plus. On me remit papiers, courrier, une grosse enveloppe avec les fonds et mon petit pistolet. Toujours la même installation dans l'avion. Cette fois encore il était prévu un parachutage de matériel.
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Il faisait très froid. Le vent soufflait, glacial. Il ne ferait pas chaud là-haut! Nous décollâmes.
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Nous approchions du lieu de rendez-vous. La petite lampe rouge s'alluma. Le pilote avait dû apercevoir les lumières sur le terrain. Le dispatcher accrocha la static ligne, ouvrit la trappe. J'aperçus la campagne française défilant au-dessous de moi.
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Je m'installai au bord du trou, les jambes dans le vide. Raymond ( son fiancé), à son retour, ne me retrouverait pas! Mais il n'était plus temps de penser à ce genre de choses. Un dernier regard pour vérifier si la static ligne était bien accrochée. Je regardai les lampes. “Action station”
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La verte s'alluma. « Go! » Et je passai par le trou. Aussitôt ce fut le silence. Le parachute s'était ouvert normalement. Je regardai autour de moi. Dans la nuit noire, à ma droite, les quatre feux de position formaient un L sur le sol. “ Ils sont bien loin, ces feux”, pensai-je. Je n'avais pas le temps d'épiloguer. Le sol était là. J'atterris au milieu d'un champ. Mon parachute s'étala à côté de moi. Rapidement, je m'en débarrassai. ......Comme il y avait un comité de réception, je n'avais pas à me préoccuper de mon parachute. Je le laissai sur place. Je retirai mon sac à main de mon cou. A tout hasard, je pris mon petit pistolet et je me dirigeai dans la direction des lumières que j'avais aperçues, mais que je ne voyais plus.
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J'arrivai au bord du champ et trouvai une ouverture dans le talus. Un autre champ, un autre talus, puis un troisième. Comment se faisait-il que je sois si loin? Je continuai à avancer, le sac au bras gauche, et, dans la main droite, le pistolet dirigé vers le sol.
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Enfin, je vis une silhouette à quelques pas de moi. Je m'avançai dans sa direction. C'était un paysan traînant un parachute.
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“Celui-là, au moins, est dans le coup!”, pensai-je immédiatement.“Bonsoir”, lui dis-je, ne trouvant pas de meilleure entrée en matière. Je remarquai le haut-le-corps de l'homme qui avouera plus tard m'avoir prise pour quelqu'un de la Gestapo! “Bonsoir ”, répliqua-t-il, et d'un air qu'il essayait de rendre naturel, continua à traîner son parachute. Je sentis qu'il y avait un malentendu. “C'est moi qui viens d'arriver”, précisai-je alors. Immédiatement, le soulagement de l'homme fut perceptible. “Ah bon! Le chef est là-bas.”
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Et il me montra un coin du champ. Nous nous dirigeâmes dans la direction indiquée. Pendant ce temps, Galilée, chef B.O.A. de la région Ouest, dirigeait ses hommes sur le terrain Ouragan. Depuis plusieurs semaines il attendait ce parachutage d'armes et d'explosifs, et il avait été avisé par. télégramme de l'arrivée de Râteau, instructeur de sabotage pour la Bretagne. Il avait entendu par trois fois déjà la phrase “Le boa en s'enroulant vous apportera un petit”.
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Le premier rendez-vous avait été manqué par suite d'arrestations. Au deuxième, l'attente avait été vaine. Cette fois-ci l'avion était passé et les parachutes des containers s'étaient bien déployés au-dessus du terrain. Il avait envoyé ses hommes ramasser le matériel. Mais il n'y avait pas de traces de Râteau. L'homme n'avait-il pas sauté, ou s'était-il perdu?
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Tout à coup, il vit deux silhouettes s'approcher. Il reconnut l'une d'entre elles. C'était un homme de son équipe. Et l'autre? Ce devait être Râteau. Mais sa petite taille le surprit. Il grommela :“Ce n'est pas possible! Maintenant on nous les envoie au berceau!”, et il commença à vitupérer contre “ ceux de Londres”.
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Le B.C.R.A. avait bien annoncé mon arrivée, en négligeant de dire que Râteau était une femme. Et j'étais une des premières, sinon la première, à être parachutée en France.“Ils auraient quand même pu me prévenir ”, ajouta-t-il. Le premier moment de surprise passé, il me fit bon accueil.
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Dès cet instant je fus adoptée par tous et jamais par la suite aucun membre de la Résistance ne fit de difficultés pour m'accepter dans mon rôle, qui n'était pas considéré comme spécialement féminin.
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Extraits de La plastiqueuse à bicyclette
Prison Jacques Cartier à Rennes
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, l’établissement avait été réquisitionné dès le mois de novembre 1940 par les troupes d’occupation. Presque tous les Résistants du département d’Ille-et-Vilaine qui ont été arrêtés par les nazis ou par la police de Vichy ont fait un séjour plus ou moins long dans cette prison. Beaucoup de Résistants des départements voisins y ont été transférés.
Construite entre 1898 et 1903, la prison Jacques Cartier a fermé ses portes au printemps 2010. Elle a été remplacée par une prison très moderne dans la commune de Vezin-le-Coquet, près de Rennes.
Beaucoup de Résistants en sont sortis pour prendre le train vers des camps de déportation, d’autres en sont sortis pour aller vers le lieu de leur exécution, la Butte de la Maltière ou le mur de la caserne du Colombier. Les plus chanceux en sont ressortis libres. C’est dire si, pour tous, le grand portail d’entrée et de sortie a une valeur symbolique énorme.
Une aile du bâtiment était réservée pour les femmes. Les longues peines venant de toute la France étaient incarcérées à la prison centrale des femmes. Mais, qu’elles soient dans l’une ou l’autre des prisons, peu de prisonnières ont été libérées ; les femmes résistantes n’étaient pas fusillées mais, le plus souvent, elles étaient déportées à Ravensbrück.
L’ANACR et l’ADIRP d’Ille-et-Vilaine ont obtenu l’autorisation de visiter ce sinistre bâtiment avant sa démolition. Les uns voulaient revoir les lieux où ils avaient été incarcérés, les autres voulaient voir par où leurs parents étaient passés avant d’être fusillés ou déportés.
Ceux qui sont passés par là ont, tout de suite, reconnu les lieux : l’entrée où se tenaient les greffes, la grande verrière, les escaliers, les coursives. Chacun a recherché la cellule où il avait passé parfois plusieurs mois. Guy Faisant raconte : « J’ai bien reconnu la mienne même si elle avait changé de numéro, mais il n’y avait plus de mobilier, ni lit, ni table, ni tabouret… Nous avons tous le souvenir des petites cours en triangles que nous appelions des fromages où nous faisions notre promenade journalière, mais ils ont enlevé quelques séparations ».
Nous sommes descendus dans les sous-sols, là où sont les mitards, et la salle de la « table aux friandises ». C’était la salle où avaient lieu les interrogatoires avec la table de tortures. Chacun avait une pensée pour ses parents, ses amis passés par là et particulièrement pour ceux qui sont morts sous les coups comme Thérèse Pierre de Fougères ou le Docteur Dordain de Mordelles (même si, officiellement, ils se sont « suicidés »).
Pour Guy Faisant et certains de ses amis, cette prison était agréable par rapport à ce qu’ils ont connu ensuite dans la prison du Cherche-Midi ou dans les prisons ou camps allemands. Comme ils étaient « au panier », ils ne souffraient pas de la faim car les familles les ravitaillaient largement. Cela était vrai pour ceux dont les familles habitaient Rennes mais qu’en était-il des autres ? Il est vrai que, entre Résistants, la solidarité n’était pas un vain mot et, en général, les provisions étaient partagées.
Roger Dodin raconte ses souvenirs : « J’étais encore là au début août 1944. Nous entendions la bataille entre les Américains et les Allemands au nord de Rennes. Des éclats d’obus arrivaient jusque sur la prison. Nous attendions notre libération. Au lieu de cela, les Allemands nous ont tous fait descendre des cellules et nous ont emmenés, en pleine nuit, jusqu’à un train stationné à la Prévalaye. Nous sommes passés près de chez moi, à la Gaieté. Ce train nous a emmenés jusqu’à Belfort et pour beaucoup d’entre nous jusqu’aux camps de la mort. » Deux trains de déportés sont partis de Rennes les 2 et 3 août 1945, la ville a été libérée le 4 août… Ce convoi qui a réuni les passagers des 2 trains est resté connu sous le nom de « Convoi de Langeais ».
Que deviendra cette prison ? Rien n’est vraiment défini. Le terrain fait des envieux pour être urbanisé. Nous avons demandé qu’un lieu rappelle le souvenir des Résistants passés par là. Une plaque placée sur le mur devrait être gardée. Nous aimerions que l’entourage du portail d’entrée, si symbolique pour tous les prisonniers, soit conservé, même s’il doit être légèrement déplacé. Nous restons vigilants !