LES CONVOIS vers les prisons du REICH partis en DECEMBRE 1941

Dans le cadre de l’Opération “ PORTO”

L’opération “Porto” désigne une série d’arrestations menées par l’Abwerh, service de contre- espionnage du Haut Commandement des Forces armées allemandes, arrestations effectuées entre juin 1941 et août 1942 particulièrement dans la zone Nord occupée, la plupart des arrestations étant toutefois opérées au cours du mois d’octobre 1941.

Cette opération s’inscrivait dans la politique répressive menée après le 22 juin 1941, jour de l’attaque contre l’Union soviétique.

Dans les pays occupés, étaient prises des mesures préventives contre les militants communistes mais aussi les juifs, au nom de la lutte contre le judéo-bolchevisme, lutte à laquelle s’associait le gouvernement de Vichy.

La répression visait aussi les groupes de résistants qui étaient en liaison avec Londres, et notamment les réseaux Hector et Saint-Jacques dans lesquels un agent double avait pu s’infiltrer.

Le réseau Hector a été créé par le colonel Groussard alias Gilbert qui s'était fait mettre en congé d'armistice par Vichy, et nommer inspecteur général de la Sûreté nationale. Au début de septembre 1940, se chargeant lui-même de la zone sud, il remettait des fonds à son ami le colonel Heurteaux afin de constituer un réseau en zone occupée.

Ce dernier recrutait le commandant René Grard, rentré en mai 1940 de Belgique où il dirigeait une tannerie à Zulte et devenu depuis peu directeur régional du « Centre des maisons d'accueil des anciens combattants ».

A Vannes, Grard était mis en relation en octobre, par son beau-frère Salomon Boisecq, avec le commandant Muller, qui à son tour, recrutait une dizaine d'hommes qui commençaient à recueillir des renseignements, permettant de communiquer les mouvements des troupes ennemies, leurs installations de l'ennemi, les mouvements des sous-marins, ces renseignements étant transmis par René Grard au S.R. « Air » de Vichy qui les communiquait à Londres.

Dès septembre 1941, les services secrets de l’armée allemande apprenaient par l’un de leurs agents infiltrés dans le réseau Hector que des membres envisageaient de commettre des attentats.

D’où la mise en place à partir du 9 octobre 1941 d’une opération coordonnée d’arrestations sur tout le territoire national ayant pour nom de code « Fall Porto ». 119 personnes étaient arrêtées. 42 étaient relâchées, aucune preuve n’ayant pu être réunies contre elles.

Dans cette même opération plusieurs membres du réseau Saint-Jacques créé par Maurice Duclos tombaient entre leurs mains.

Nous ignorons, pour la plupart des personnes dont les noms suivent, si elles appartenaient aux réseaux Hector et Saint Jacques.

Le 10 décembre 1941, les 102 premiers arrêtés de l’ opération « Porto » étaient déportés vers les prisons de Düsseldorf pour 45 d’entre eux, vers la prison d’ Essen, pour les 57 autres .

Le 15 décembre 1941, 89 prévenus étaient déportés à leur tour, 54 d’entre eux étaient incarcérés dans la prison de Wuppertal, les 35 autres dans celle de Hagen.

Le 19 décembre 1941, 36 prévenus étaient déportés dans les prisons de quatre villes différentes et éloignées des précédentes, 14 à Wiesbaden, 5 à Bad- Kreuznach, 14 à Augsburg et 3 à Regensburg.

Enfin, le 22 décembre 1941, 4 prévenus étaient déportés et incarcérés dans la prison de Nuremberg.

Sur les 212 hommes et les 19 femmes déportées vers les prisons du Reich au cours de ce mois de décembre 1941, 89 personnes bénéficieront de libération “anticipée” pour insuffisance de charges, notamment le 15 août 1942 et courant 1943, 33 personnes au moins ont été condamnées à mort et exécutées, à l’exception des femmes condamnées à mort déportées en KL.

Les autres condamnés étaient transférés vers les divers camps de concentration avec le statut NN. Dans ces différents convois se trouvaient au moins 16 personnes originaires de Bretagne Parmi ceux ayant bénéficié d’une libération anticipée se trouvaient

Jean BEAUFRERE, né le 25.12.1906 à Quimperlé (29) libéré le 16.12.1943, René DECKER, né 18.09.1889 à Vannes ( 56), libéré le 15.08.1942, Yves FLOCH, né 08.06.1899 à Rosnoen (29), libéré le 15.08.1942, Joseph LE BIANNIC, né 03.09.1899 à Tréguier(22), libéré le 15.08.1942, Paul LE FLEM, né 07.10.1908 à Pont Labbé (29), libéré le 15.08.1942, Guillaume LE GUERN, né 12.10.1912 à Pleumeur Gautier (22), libéré le 15.08.1942, Francis TROCHET, né 28.05.1904 à Mélesse (35), libéré le 15.08.1942,

Parmi les condamnés à mort, ont été exécutés à Munich le 21.09.1943 par décapitation aux heures suivantes selon le rapport d’exécution:

à 17 h 05 René GALLAIS, né le 16.03.1891 à Pleugeneuc (35): il avait 52 ans à 17 h 08, Raymond LOIZANCE, né le 16.10.1919 à St Hilaire (35): il avait 24 ans à 17 h 11, Marcel PITOIS, né le 12.03.1912 à ?: il avait 31 ans 17 h 14, Antoine PEREZ, né le 24.02.1911 à La Ferrière (35): il avait 32 ans à 17 h 16, Louis RICHER, né le 04.05.1923 à ,?: il avait 20 ans à 17 h 19, François LE BOSSE, né le 07.12.1901 à ?: il avait 42 ans à 17 h 21, Jules ROCHELLE, né le 24.05.1898 à Fougères (35): il avait 45 ans à 17 h 24, Jules FRÉMONT, né le 19.07.1891 à Broualan (35): il avait 52 ans

Selon les informations diffusées sur le site des Anciens Combattants d’Ille et Vilaine: memoire de guerre, dès la fin 1940, René Gallais, capitaine au long cours, gardien du château de Fougères où il demeurait avec sa femme Andrée, née le 08.09.1898, sa fille Huguette née le 07.11.1921 et son fils Gérald, organisait un groupe de patriotes avec des membres de sa famille et des amis tels Deschamps, la famille Huet, Raymond Loizance, Louis Richer, Antoine Perez, Le Bastard, Jules Frémont et François Le Bosse. Ces résistants aidaient des jeunes gens à passer en zone libre et en Angleterre, et faisaient parvenir à Londres, des renseignements sur les troupes allemandes et leurs déplacements.

En liaison avec l’Intelligence Service et le Bureau Central de Renseignements et d’Action à Londres, le groupe hébergeait aussi des agents et des parachutistes .

Compte tenu du développement du réseau, René Gallais et Jules Frémont étaient désignés pour diriger deux unités combattantes l’une sur Fougères, l’autre sur Saint-Brice en Coglés.

Mais des autonomistes bretons, agents de l’Abwehr s’étaient infiltrés dans le réseau et en dénonçaient les membres, dénonciation qui conduisait à l’arrestation, dans la nuit du 8 au 9 octobre 1941, de René Gallais, de sa femme Andrée, et de sa fille Huguette, et de plus de 50 membres du réseau, dont 14 restaient détenus à la prison d’Angers avant d’être transférés, pour les hommes à la prison de Fresnes, puis à celle d’Augsburg en Bavière, pour les 3 femmes Andrée et Huguette Gallais, et Louise PITOIS, née le 20.10.1904 à Fougères, à la prison de la Santé, puis à la prison de Kastell- Stadel. Après leur procés elles étaient transférées au camp de Ravensbrück, bloc 32 des NN, puis à Mauthausen

Andrée et Huguette GALLAIS revenaient de déportation, en revanche Louise PITOIS décédait à Bergen Belsen, le 10.05.1945, quelques jours avant son rapatriement, elle avait 41 ans.

Voici le récit donné par Huguette GALLAIS

-de l’interrogatoire subi dans les geôles de la Gestapo

"Nous avons été interrogés par la Gestapo en juin 1942. Ils m'ont frappée devant Frémont pour le faire parler, lui. C'était un père de famille de cinq enfants. Il habitait Saint-Brice, un bourg où j'avais accompagné un transport d'armes, et les Allemands voulaient en savoir davantage à ce sujet. Nous avions caché les fusils chez Armand Laize, mais celui-ci n'a pas été arrêté, pas plus que les autres membres de sa famille. Frémont et moi étions horriblement esquintés, cependant aucun de nous deux n'a parlé. J'ai été ramenée à la prison, je ne sais pas comment parce je me suis réveillée sur un bat-flanc, souffrant de partout. Celui qui m'avait interrogée était un nazi nommé Steinler.

Les interrogatoires terminés, maman et Mme Pitois étaient montées avec des droits communs allemandes. Comme maman était modéliste en haute couture, elle a été placée dans un atelier de couture au service des surveillantes, où elle cousait des punaises dans les ourlets des robes pour casser le moral des Allemandes qui emportaient cette vermine dans leurs maisons."

- du déroulement du procès, le 23 février 1943 dans la salle des Assises du Tribunal Régional, à Alten Einlass

"Lors du procès, nous avons enfin pu échanger quelques mots furtifs avec papa et les autres hommes, que nous n'avions pas vus depuis notre arrestation.

Nous n'étions plus que douze accusés. Joseph Brindeau ( né le 14.04.1919), tuberculeux, était décédé [ le 30.03.1942, il avait 23 ans] à la prison d’Augsburg et Théophile Jagu ( né le 14.02.1900 à Maure(64), un gendarme qui nous renseignait, avait été libéré et renvoyé à la brigade de Fougères, faute d'éléments contre lui.

Nous avions soutenu jusqu'au bout que nous ne le connaissions pas. Seulement, rentré en Bretagne, les autres familles de déportés ont cru qu'il nous avait dénoncés. Il a été bien soulagé de voir maman et moi revenir vivantes pour démentir.

Quel dommage que le procès n'ait pas été filmé ! Toutes les armes étaient là : Terre, Mer, Air. Ils nous avaient commis quatre avocats d'office.

Parmi eux, un antinazi, le docteur Reiseirt, qui, lui, a vraiment plaidé. Sa plaidoirie disait, en substance, que papa avait fait la guerre 14-18, tout comme lui, et peut-être s'étaient-ils trouvés face à face dans les tranchées mais chacun défendait son pays et faisait son devoir.

Nous fumes tous les douze condamnés à mort, mais les trois femmes furent envoyées en camp de concentration ainsi que Marcel Le Bastard, [né le 18.10.1922 à Gennevillliers 72) . Marcel était étudiant à Rennes, où il avait déjà été arrêté, et le dossier le présentait comme un hurluberlu, incapable d'appartenir à un réseau d'envergure. [ sa peine est commuée en travaux forcés, il est transféré à Sonnenburg puis à Sachsenhausen et enfin à Heinkel où selon les indications mentionnées dans le Livre Mémorial de la Déportation, il décèderait le 13.02.1945 NDLR.],

Le docteur Reiseirt a obtenu d'un gardien que les hommes restent ensemble jusqu'à leur exécution. Ils ont veillé, ils ont prié. Ils ont reçu la communion."

Parmi les condamnés aux travaux forcés, Louis FLOCH, né 27.12.1883 à Brest, est décédé le 13.02.1945 au KL Dora, après avoir été incarcéré dans les prisons de Wuppertal, et de Düsseldorf, puis transféré au KL Gross -Rosen : il avait 61 ans.

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