Témoignage de MC VAILLANT COUTURIER

EXTRAITS DE LA DEPOSITION
de Marie-Claude VAILLANT-COUTURIER lors du procès de Nuremberg

 

La déposition suivante a été publiée dans la série d’ouvrages consacrés au Procès de Nuremberg “ Documents pour servir à l’Histoire de la Guerre” édités en mai 1947 par le Service d’Information des Crimes de Guerre - Office Français d’Edition

Le procès de Nuremberg fut intenté contre 24 des principaux dirigeants du Troisième Reich accusés de complot, de crimes conte la paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Ce procès se tint du 20.11.1945 au 01.10.1946 à Nuremberg, ville située alors en zone d’occupation américaine.

Il se déroula sous la juridiction du Tribunal Militaire International créé en exécution de l’accord signé le 8 août 1945, par les gouvernements des Etats Unis, de Grande Bretagne, de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques et le gouvernement provisoire de la République Française .

En dix mois, 94 témoins sont entendus: 61 pour l’accusation, 33 pour la défense.
Le 17 janvier 1946, François de Menthon prend la parole pour l’accusation française. Il s’efforce de mettre en relation les crimes organisés et la doctrine raciste qui les a fait naître. Il fait également état des transferts en Allemagne dans le cadre du Service du Travail Obligatoire, le pillage économique, les crimes contre les personnes, rattachés selon lui à une politique d’extermination.

Puis ses adjoints détaillent les différents faits au soutien de l’accusation, faits commis en France contre des français.
Plus particulièrement, les crimes contre les personnes sont exposés à partir du 24 janvier 1946, par Charles Dubost, Adjoint au délégué du gouvernement de la République Française. Charles Dubost a fait citer devant le Tribunal divers témoins ayant subi les persécutions nazies.

Ainsi le 28 janvier 1946, Marie-Claude Vaillant Couturier était-elle appelée à la barre . Voici l’essentiel de son témoignage ( les intertitres sont de la rédaction):
Le Président. — Répétez le serment avec moi :
« Vous jurez de parler sans haine ni crainte; de dire la vérité, toute 1a vérité, rien que
la vérité a. levez la main droite et dites : « Je le jure »
.

Veuillez vous asseoir et parler lentement. Vous vous appelez ? Vaillant-Couturier, Marie-Claude, née Vogel.....

L’ARRESTATION, LES PRISONS :

“ J'ai été arrêtée le 19 février 1942 par la police française de Pétain qui m'a remise aux autorités allemandes au bout de six semaines.

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Je suis arrivée le 20 mars à la prison de la Santé, au quartier allemand. j'ai été interrogée par la Gestapo, le 9 juin 1942.
A la fin de l'interrogatoire, on a voulu me faire signer une déclaration qui n'était pas conforme à ce que j'avais dit. Comme je refusais de signer cette déclaration, l'officier allemand qui m'interrogeait m'a menacée et comme je lui ai dit que je ne craignais pas la mort, ni d'être fusillée, il m'a dit : “
Mais, nous avons à notre disposition des moyens bien pires que de fusiller les gens pour les faire- mourir ”. Et l'interprète m'a dit : “Vous ne savez pas ce que vous venez de faire. Vous allez partir dans un camp de concentration allemand, on n'en revient jamais

Dans la prison de la Santé :

J'ai été reconduite à la prison de la Santé et mise au secret. J'ai cependant pu communiquer avec mes voisins par les canalisations et par les fenêtres. Je me trouvais dans les cellules à. côté de celles du philosophe Georges Politzer et du physicien Jacques Solomon, le gendre du professeur Langevin, l'élève de Curie, un des premiers qui ait étudié la désintégration atomique.

Georges Politzer m'a raconté par la canalisation que pendant son interrogatoire, après l'avoir martyrisé, on lui a demandé s'il ne voulait pas écrire des brochures théoriques pour le National Socialisme. Comme il a refusé, on lui a dit qu'il ferait partie du premier train d'otages qui seraient fusillés.

Quant à Jacques Solomon, il a été également horriblement torturé, puis jeté au cachot d'où il n'est sorti que le jour de son exécution pour dire au revoir à sa femme, également arrêtée et à la Santé.

Hélène Solomon-Langevin m'a raconté à Romainville, où je l'ai retrouvée en quittant la Santé, que, lorsqu'elle s'était approchée de son mari pour l'embrasser, il avait poussé un gémissement et lui avait dit : Je ne peux: pas te prendre dans mes bras, car je ne peux plus les bouger”.

Chaque fois que les détenus revenaient de l'interrogatoire, on entendait s'échapper par les fenêtres des gémissements et ils disaient qu'ils ne pouvaient plus se remuer.

Durant le séjour de cinq mois que j'ai fait à la Santé, plusieurs fois on est venu chercher des otages pour les fusiller.

Du camp de Romainville au KL Auschwitz:

En quittant la Santé le ce 20 août 1942, j'ai été conduite au fort de Romainville, qui servait de camp d'otages. Là, j'ai assisté deux fois à des prises d'otages, le 21 août et le 22 septembre.

....Je suis partie. à Auschwitz le 23 janvier 1943 et arrivée le 27. Je faisais partie d'un convoi de 230 Françaises. Il y avait parmi nous Danielle Casanova, qui est-morte à Auschwitz ; May Politzer, femme du philosophe Georges Politzer, qui est morte à Auschwitz, Hélène Solomon, fille du professeur Langevin. ..... Danielle Casanova qui était chirurgien-dentiste . .... c'est elle qui avait monté un mouvement de Résistance parmi les femmes de prisonniers. ( 1)

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[ Seules 49 d’entre nous sont revenues... Parmi celles qui sont mortes, je mentionnerai ]....:
une jeune fille de 16 ans, une élève de Lycée, Claudine Guérin, ... deux femmes qui avaient été acquittées par le Tribunal militaire allemand, Marie Alonzo et Marie-Thérèse Fleury

.....Quand nous avons quitté Romainville, étaient restées dans le camp les Juives qui étaient à Romainville en même temps que nous. Elles ont été dirigées vers Drancy et sont arrivées à Auschwitz nous les avons retrouvées trois semaines plus tard, trois semaines après nous. Sur 1.200 qu'elles étaient, il n'en est entré dans le camp que 125, les autres ont été dirigées sur les gaz tout de suite. Sur ces 125, au bout d'un mois, il n'en restait pas une seule.

Les transports se pratiquaient de la manière suivante. Au début, quand nous sommes arrivées, quand un convoi de Juifs arrivait, on sélectionnait d'abord les vieillards, les vieilles femmes, les mères et les enfants qu'on faisait monter en camions, ainsi que les malades ou ceux qui paraissaient de constitution faible. On ne prenait que les jeunes femmes et jeunes filles et les jeunes gens qu'on envoyait au camp des hommes......

AUSCHWITZ

L’arrivée au KL Auschwitz:

Le voyage avait été extrêmement pénible, car nous étions 60 par wagon et l'on ne nous a pas distribué de nourriture ni de boisson pendant le trajet. Comme nous demandions, aux arrêts, aux soldats lorrains, enrôlés dans la Wehrmacht, qui nous gardaient, si l'on arrivait bientôt, ils nous ont répondu: Si vous saviez où vous allez, vous ne seriez pas pressées d'arriver”.

Nous sommes arrivées à Auschwitz au petit jour. On a déplombé nos wagons et on nous a fait sortir à coups de crosses pour nous conduire au camp de Birkenau, qui est une dépendance du camp d'Auschwitz ; ça se trouve dans une immense plaine qui, au mois de janvier, était glacée.

Nous avons fait le trajet en tirant nos bagages. Nous sentions tellement qu'il y avait peu de chance d'en ressortir, car nous avions déjà rencontré les colonnes squelettiques qui se dirigeaient au travail , qu'en passant le porche, nous avons chanté « la Marseillaise » pour nous donner du courage.

On nous a conduites dans une grande baraque, puis à la désinfection. Là, on nous a rasé la tête et on nous a tatouées, sur l'avant-bras gauche, le numéro matricule. Ensuite, on nous a mises dans une grande pièce pour prendre un bain de vapeur et une douche glacée. Tout cela se passait en présence des SS, hommes et femmes, bien que nous soyons nues.

Après, on nous a remis des vêtements souillés et déchirés, une robe de coton et une jaquette pareille. Comme ces opérations avaient pris plusieurs heures, nous voyions, des fenêtres du bloc où nous nous trouvions, le camp des hommes et vers le soir, un orchestre s'est installé.
Comme il neigeait, nous nous demandions pourquoi on faisait de la musique. A ce moment-là, les kommandos de travail d'hommes sont rentrés.

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Derrière chaque kommando, il y avait des hommes qui portaient des morts. Comme ils pouvaient à peine se traîner eux-mêmes, ils étaient relevés à coups de crosses ou à coups de bottes chaque fois qu'ils s'affaissaient.

Après cela, nous avons été conduites dans le bloc où nous devions habiter.

Il n'y avait pas de lits, mais des bat-flancs de 2 mètres sur 2 mètres où nous étions couchées à 9, sans paillasses et sans couvertures la première nuit. Nous sommes demeurées dans des blocs de ce genre pendant plusieurs mois.

L’enfer au quotidien:

Pendant toute la nuit, on ne pouvait pas dormir, parce que quand l'une des neuf se déplaçait, et comme elles étaient toutes malades, c'était sans arrêt, elle dérangeait toute la rangée.

L’appel :

A 3 heures et demie du matin, les hurlements des surveillantes nous réveillaient et à coups de gourdins, on était chassée de son grabat pour partir à l'appel.
Rien au monde ne pouvait dispenser de l'appel, même les mourantes devaient y être traînées.

Là, nous restions en rang par cinq, jusqu'à ce que le jour se lève, c'est-à-dire à 7 ou 8 heures du matin en hiver et, lorsqu'il y avait du brouillard, quelquefois jusqu'à midi. ....nous attendions jusqu'au jour que les Aufscherinnen, les surveillantes allemandes en uniforme, viennent nous compter.

Elles avaient des gourdins et elles distribuaient, au petit bonheur la chance, comme ça tombait, des coups. Nous avons une compagne, Germaine Renaud, institutrice à Azay-le-Rideau, en France, qui a eu le crâne fendu devant mes yeux par un coup de gourdin, durant l'appel.

Le massacre du 5 février 1943, et le Bloc 25 :

.... le 5 février 1943 , il y a eu ... un appel général..... A 3 heures et demie, tout le camp.... a été réveillé et envoyé dans la plaine, alors que, d'habitude, l'appel se faisait à 3 heures et demie, mais à l'intérieur du camp. Nous sommes restées dans cette plaine, devant le camp, jusqu'à 5 heures du soir, sous la neige, sans recevoir de nourriture, puis, lorsque le signal a été donné, nous devions passer la porte une à une, et on donnait un coup de gourdin dans le dos à chaque détenue en passant pour la faire courir.

Celle qui ne pouvait pas courir, parce qu'elle était trop vieille ou trop malade, était happée par un crochet et conduite au bloc 25, le bloc d'attente pour les gaz.

Ce jour-là, dix Françaises de notre transport ont été happées ainsi et conduites au bloc 25. Lorsque toutes les détenues furent rentrées dans le camp, une colonne, dont je faisais partie, a été formée pour aller relever dans la plaine les mortes qui jonchaient le sol, comme sur un champ de bataille. Nous avons transporté dans la cour du bloc 25, les mortes et les mourantes sans faire de distinction.; elles sont restées entassées ainsi.

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....Ce bloc 25, qui était l'antichambre de la chambre à gaz, si l'on peut dire —, je le connais bien car, à cette époque, nous avions été transférées au bloc 26 et nos fenêtres donnaient sur la cour du 25.

On voyait les tas de cadavres empilés dans la cour et de temps en temps, une main ou une tête bougeait parmi ces cadavres, essayant de se dégager : c'était une mourante qui essayait de sortir de là pour vivre.

La mortalité dans ce bloc était encore plus effroyable qu'ailleurs car, comme c'étaient des condamnées à mort, on ne leur donnait à manger et à boire que s'il restait des bidons à la cuisine, c'est-à- dire que souvent, elles restaient plusieurs jours sans une goutte d'eau.

Un jour, une de mes compagnes, Annette Epaud, une belle jeune femme de trente ans, passant devant le bloc, eut pitié de ces femmes qui criaient du matin au soir, dans toutes les langues : « A boire, à boire, à boire, de l'eau ». Elle est rentrée dans notre bloc chercher un peu de tisane, mais au moment où elle passait le bol par le grillage de la fenêtre, la surveillante l'a vue, l'a prise par le collet et l'a jetée au bloc 25.

Toute ma vie,je me souviendrai d'Annette Epaux .Deux jours après,montée sur le camion qui se dirigeait à la chambre à gaz, elle tenait contre elle une autre Française, la vieille Line Porcher et au moment où le camion s'est ébranlé, elle nous a crié : « Pensez à mon petit garçon si vous rentrez en France. » Puis, elles se sont mises à chanter la Marseillaise , pendant que le camion s'ébranlait.

Dans le bloc 25, dans la cour, on voyait des rats gros comme des chats courir et ronger les cadavres, et même s'attaquer aux mourantes qui n'avaient plus la force de s'en débarrasser.

Le travail :

Puis les kommandos s'ébranlaient pour partir au travail.

Le travail à Auschwitz consistait en déblaiement de maisons démolies, confections de routes et surtout assainissement de marais.

C'était, de beaucoup, le travail le plus dur puisqu'on était toute la journée les pieds dans l'eau et qu'il y avait danger d'enlisement. Il arrivait constamment qu'on soit obligées de retirer une camarade qui s’était enfoncée parfois jusqu'à la ceinture.

Durant tout le travail, les SS, hommes et femmes, qui nous surveillaient nous battaient, à coups de gourdins et lançaient sur nous leurs chiens. Nombreuses sont les camarades qui ont eu les jambes déchirées par les chiens. Il m'est même arrivé de voir une femme déchirée et mourir sous mes yeux, alors que le SS Tauber excitait son Chien contre elle et ricanait à ce spectacle.

... [ Comme nourriture] nous recevions 200 grammes de pain, trois quarts de litre ou un demi-litre, suivant les cas, de soupe au rutabaga et quelques grammes de margarine ou une rondelle. de saucisson le soir. Quel que soit le travail qui était exigé de l'internée. Certaines qui travaillaient à l'usine de l“ Union”, une fabrique de munitions où elles faisaient des grenades et des obus, recevaient ce qu'on appelait un « Zulage », c'est-à-dire un supplément quand la norme était atteinte.

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Ces détenues faisaient, comme nous, l'appel le matin et le soir et elles étaient au travail 12 heures dans leur usine. Elles rentraient au camp après le travail en faisant le trajet aller et retour à pied.

C'était une fabrique de munitions. Je ne sais pas à quelle société elle appartenait. Il y avait également une grande usine à Buna, mais comme je n'y ai pas travaillé, je ne sais pas ce qu'on y faisait.

Les détenues qui étaient prises pour Buna ne revenaient plus dans notre camp.

Les châtiments corporels

Une des punitions les plus classiques était 50 coups de bâton sur les reins. Ces coups de bâton étaient donnés par une machine que j'ai vue : c'était un système de balancements qui était manipulé par un SS. Il avait aussi des appels interminables, jour et nuit, ou bien de la gymnastique : il fallait se mettre à plat ventre, se relever, à plat ventre, se relever, pendant des heures, et quand on tortillait, on était assommé de coups et transporté au bloc 25.

Les Maladies :

Les causes de mortalité étaient extrêmement nombreuses.

Il y avait d'abord le manque d' hygiène total. Lorsque nous sommes arrivées à Auschwitz, pour 12.000 détenus, il y avait un seul robinet d'eau non potable qui coulait par intermittence. Comme ce robinet était dans les lavabos allemands on ne pouvait y accéder qu'en passant par une garde de détenues allemandes de droit commun, qui nous battaient effroyablement. Il était donc presque impossible de se laver ou de laver son linge.

Nous sommes restées pendant plus de trois mois sans jamais changer de linge. Quand il y avait de la neige, nous en faisions fondre pour pouvoir nous laver.
Plus tard, au printemps, quand nous allions au travail, dans la même flaque d'eau sur le bord de la route, nous buvions, nous lavions notre chemise ou notre culotte. Nous nous lavions les mains à tour de rôle dans cette eau polluée. Les compagnes mouraient de soif car on ne distribuait que deux fois par jour un demi-quart de tisane.

Une autre cause de mortalité et d'épidémie était le fait qu'on nous donnait à manger dans des grandes gamelles rouges qui étaient seulement passées à l'eau froide après chaque repas. Comme toutes les femmes étaient malades et qu'elles n'avaient pas la force, durant la nuit, de se rendre à la tranchée qui servait de lieux d'aisance et dont l'abord était indescriptible, elles utilisaient ces gamelles pour un usage auquel elles n'étaient pas destinées.

Le lendemain, on ramassait ces gamelles, on les portait sur un tas d'ordures et, dans la journée, une autre équipe venait les récupérer, les passait à Peau froide et les remettait en circulation.

Une autre cause de mort était la question des chaussures. Dans cette neige et cette boue de Pologne, les chaussures de cuir étaient complètement abîmées au bout de huit ou quinze jours.

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On avait donc les pieds gelés et des plaies aux pieds. Il fallait coucher sur ces souliers boueux de peur qu'on ne les vole,et presque chaque nuit,au moment de se lever pour l'appel,on entendait des cris d'angoisse : «On m’a volé mes chaussures. »

Il fallait attendre alors que tous les blocs soient vidés pour chercher sous les cadres les laissés- pour-compte. C'était parfois deux souliers d'un même pied ou un soulier et un sabot. Ça permettait de faire l'appel, mais pour le travail, c'était une torture supplémentaire puisque cela occasionnait des plaies aux jambes qui, à cause du manque de soins, s'envenimaient rapidement.

Nombreuses sont les camarades qui sont entrées au « Revier » pour des plaies aux jambes et qui n'en sont jamais ressorties......

Le Revier :

Pour arriver au Revier, il fallait d'abord faire l'appel... Le Revier, c'étaient les blocs où on mettait les malades.

On ne peut pas donner à cet endroit le nom d'hôpital car cela ne correspond pas du tout à l'idée qu'on se fait d'un hôpital. Pour y aller, il fallait d'abord obtenir l'autorisation du chef de bloc, qui la donnait très rarement. Il fallait faire la queue devant l'infirmerie où, par tous les temps, qu'il neige ou qu'il pleuve, même avec 4o de fièvre, on devait attendre plusieurs heures en faisant la queue pour être admise.

Il arrivait fréquemment que des malades meurent dehors devant la porte de l'infirmerie avant d'avoir pu y pénétrer. Du reste,même de faire la queue devant l'infirmerie était dangereux car,lorsque cette queue était trop grande, le SS passait ramasser toutes les femmes qui attendaient et les conduisait directement au bloc 25... c'est-à-dire à la chambre à gaz. C'est pourquoi, très souvent, les femmes préféraient ne pas se présenter au Revier et elles mouraient au travail ou à l'appel.

Après l'appel du soir, quotidiennement, en hiver, on relevait des mortes qui avaient roulé dans les fossés. Le seul intérêt du « Revier » c'était que, comme on était couché, on était dispensé de l'appel, mais on était couché dans des conditions effroyables, dans des lits de moins d'un mètre de large à quatre, avec des maladies différentes, ce qui faisait que celle qui était entrée pour des plaies aux jambes attrapait la dysenterie ou le typhus de sa voisine.

Les paillasses étaient souillées, on ne les changeait que quand elles étaient complètement pourries. Les couvertures étaient si pleines de poux qu'on les voyait grouiller comme des fourmis. Une de mes compagnes, Marguerite Corringer, me racontait que; pendant son typhus, elle ne pouvait pas dormir de toute la nuit, à cause des poux. Elle passait sa nuit à secouer sa couverture sur un papier, à vider les poux dans un récipient auprès de son lit, et ainsi pendant des heures.

II n'y avait pour ainsi dire pas de médicaments, on laissait donc les malades couchées, sans soins, sans hygiène, sans les laver. On laissait les mortes pendant plusieurs heures couchées avec les malades, puis quand, enfin, on s'apercevait de leur présence, on les balançait simplement hors du lit et on les conduisait devant le bloc.

Là, la colonne des porteuses de mortes venait les chercher sur de petits brancards, d'où la tête

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et les jambes pendaient. Du matin au soir, les porteuses de mortes faisaient le trajet entre le Revier et la morgue.

Pendant les grandes épidémies des hivers 1943 et 1944, les brancards ont été remplacés par des chariots, car il y avait trop de mortes. Il y a pendant ces périodes d'épidémie, de 200 à 350 mortes par jour.....quand nous sommes arrivées, les Juives n'avaient pas le droit d' aller au Revier, elles étaient directement conduites à la chambre à gaz.

Les expériences :

....En ce qui concerne les expériences, j'ai vu dans le Revier, j'étais employée au Revier, la file des jeunes juives de Salonique qui attendaient devant la salle des rayons pour la stérilisation. Je sais, par ailleurs, qu'on opérait également par castration dans le camp des hommes.

En ce qui concerne les expériences faites sur des femmes, je suis au courant parce que mon amie la docteresse Hadé Haut-val, de Montbéliard, qui est rentrée en France, a travaillé pendant plusieurs mois dans ce bloc pour soigner les malades, mais elle a toujours refusé de participer aux expériences.

On stérilisait les femmes soit par piqûres, soit par opérations ou, également avec des rayons. .....les SS.... ne s'en cachaient pas , ils disaient qu'ils essayaient de trouver la meilleure méthode de stérilisation pour pouvoir remplacer dans les pays occupés la population autochtone par des Allemands au bout d'une génération, une fois qu'ils auraient utilisé les habitants comme esclaves pour travailler pour eux

Concernant les femmes enceintes,

Les femmes juives, quand elles arrivaient enceintes de peu de mois, on les faisait avorter. Quand la grossesse était près de la fin, après l'accouchement, on noyait les bébés dans un seau d'eau. Je sais cela parce que je travaillais au Revier et que la préposée à ce travail était une sage-femme allemande, détenue de droit commun pour avoir pratiqué des avortements.

Au bout d'un certain temps, un autre médecin est arrivé et pendant deux mois, on n'a pas tué les bébés juifs. Mais, un beau jour, un ordre est arrivé de Berlin disant qu'il fallait de nouveau les supprimer. Alors, les mères et leurs bébés ont été appelées à l'infirmerie, elles sont montées en camion et on les a conduites aux gaz.

Quant aux femmes non juives accouchaient et on ne leur enlevait pas leurs bébés, mais, étant donné les auditions effroyables du camp, les bébés dépassaient rarement quatre à cinq semaines. 11 y avait un bloc où se trouvaient les mères polonaises et russes. Un jour, les mères russes ayant été accusées de faire trop de bruit, on leur a fait faire l'appel toute la journée devant le bloc, toutes nues, avec leur bébé dans leurs bras.......

Sur les jumeaux ,

Il y a eu également, pendant le printemps 1944, un bloc de jumeaux. C'était la période où sont arrivés d'immenses transports de Juifs hongrois, 700.000 environ.

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Le Dr Mengele, qui faisait des expériences, gardait, de tous les transports, les enfants jumeaux et, en général, les jumeaux, quel que soit leur âge, pourvu qu'ils soient là tous les deux. Alors, dans ce bloc, il y avait des bébés et des adultes par paires.

Je ne sais pas, en dehors des prises de sang et des mesures, je ne sais pas ce qu'on leur faisait.

Les sélections au Revier ,

Chaque année, vers la fin de l'automne, on faisait dans les Revier de grandes sélections.

Le système semblait être le suivant. Je dis cela. parce que, sur le temps que j' ai passé à Auschwitz, j'ai pu en faire la constatation, et d'autres qui sont restées encore plus longtemps que moi ont fait la même constatation.

Au printemps, à travers toute l'Europe, on raflait des hommes et des femmes, qu'on envoyait à Auschwitz. On ne gardait que ceux qui étaient assez forts pour travailler tout l'été. Pendant cette période, naturellement, il en mourait tous les jours, mais les plus robustes, qui arrivaient à tenir six mois étaient si épuisés au bout de ce temps qu'ils entraient à leur tour au Revier . C'est à ce moment- là qu'on faisait des grandes sélections, en automne, pour ne pas avoir à nourrir pendant l'hiver des bouches inutiles. Toutes celles qui étaient trop maigres étaient envoyées aux gaz, .

Les Sélections des Juifs :

J’ai été témoin direct de la sélection à l'arrivée des convois de juifs parce que, quand nous avons travaillé au bloc de la couture en 104, notre bloc, le bloc où nous habitions, était en face de l'arrivée du train.

On avait perfectionné le système : au lieu de faire la sélection à la halte d'arrivée, une voie de garage menait le train presque jusqu'à la chambre à, gaz et l'arrêt — c'est-à-dire à 100 mètres de la chambre à gaz — était juste devant notre bloc, mais naturellement, séparé par deux rangées de fil de fer barbelé. Nous voyions dans les wagons déplombés, les soldats sortir les hommes, les femmes et les enfants des wagons et l'on assistait aux scènes déchirantes des vieux couples se séparant, des mères étant obligées d'abandonner leurs jeunes filles, puisqu'elles entraient dans le camp, tandis que les mères et les enfants étaient dirigés vers la chambre à gaz. Tous ces gens-là ignoraient le sort qui leur était réservé. Ils étaient seulement désemparés parce qu'on les séparait les uns des autres, mais ils. ignoraient qu'ils allaient à la mort.

Pour rendre l'accueil plus agréable, à cette époque, c'est-à-dire en juin, juillet 1944, un orchestre composé de détenues, toutes jeunes et jolies, habillées de petites blouses blanches et de jupes bleu marine, jouait pendant la sélection, à l'arrivée des trains, des airs gais comme la « Veuve Joyeuse , « la Barcarolle» des Contes d'Hoffmann etc. Alors, on leur disait que c'était un camp de travail et comme ils n'entraient pas dans le camp ils ne voyaient que la petite plate-forme entourée de verdure où se trouvait l'orchestre. Evidemment, ils ne pouvaient pas se rendre compte de ce qui les attendait.

Ceux qui étaient sélectionnés pour les gaz, c'est-à-dire les vieillards, les enfants et les mères étaient conduits, dans un bâtiment rouge en briques. Ils étaient conduits dans un bâtiment en briques rouges, qui portait les lettres « Baden » c'est-à-dire « Bains ». Là, au début, on les faisait déshabiller, et on leur donnait une serviette de toilette avant de les faire entrer dans la soi-disant salle de douches.

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Par la suite,à l'époque des grands transports de Hongrie,on n'avait plus le temps de jouer ou de simuler. On les déshabillait brutalement. Je sais ces détails, car j'ai connu une petite Juive de France qui habitait. avec sa famille à la République à Paris ...

On appelait la Petite Marie et elle était la seule survivante d'une famille de neuf. Sa mère et ses sept frères et soeurs avaient été gazés à l'arrivée. Lorsque je l'ai connue elle était employée pour déshabiller les bébés avant la chambre à gaz. On faisait pénétrer les gens, une fois déshabillés, dans une pièce qui ressemblait à une salle de douches et, par un orifice dans le plafond, on lançait les capsules de gaz. Un SS regardait par un hublot l'effet produit. Au bout de cinq à sept minutes, lorsque le gaz avait fait. son oeuvre, il donnait le signal pour qu'on ouvre les portes.

Des hommes avec des masques à gaz — ces hommes étaient des détenus — pénétraient dans la salle et retiraient les corps. Ils nous racontaient que les détenus devaient souffrir avant de mourir car ils étaient agrippés les uns aux autres en grappes, et on avait beaucoup de mal à les séparer.

Après cela, une équipe passait. pour arracher les dents en or et les dentiers. Et encore une fois, quand les corps étaient réduits en cendres, on les passait encore au tamis pour essayer de récupérer de l'or.

Il y avait à Auschwitz huit fours crématoires.Mais,à partir de 1944,ce n'était pas suffisant.Les SS ont fait creuser par les détenus de grandes fosses dans lesquelles ils mettaient des branchages arrosés d'essence, et qu'ils enflammaient. Ils jetaient les corps dans ces fosses.. De notre bloc, nous voyions, à peu près trois quarts d'heure ou une heure après l'arrivée d'un transport, sortir les grandes flammes du four crématoire, et le ciel s'embraser par les fosses.

Une nuit, nous avons été réveillées par des cris effroyables. Nous avons appris le lendemain matin, par les hommes qui travaillaient au Sonderkommando (le kommando des Gaz) que la veille, n'ayant pas assez de gaz, ils avaient jeté les enfants vivants dans les fournaises.

Sur le camp des tziganes:

Il y avait à côté de notre camp, de l'autre côté des fils de fer barbelés, séparés par trois mètres, deux camps : un camp de Tziganes qui a été, en 1944, vers le mois d'août entièrement gazé. C'étaient des Tziganes de toute l'Europe, y compris l'Allemagne.

Sur le camp des Juifs de Theresienstadt:

Également de l'autre côté, il y avait ce qu'on appelait le camp familial.

C'étaient des Juifs de Theresienstadt, du ghetto de Theresienstadt, qui avaient été conduits là-bas et, contrairement à nous, ils n'étaient ni tatoués ni rasés, et on ne leur enlevait pas leurs vêtements. Ils ne travaillaient pas. Ils ont vécu comme cela six mois et au bout de six mois, on a gazé tout le « camp familial ». Cela représentait à peu près 6 à 7.000 Juifs. Quelques jours après, d'autres grands transports sont arrivés de Theresienstadt également, avec des familles, et au bout de six mois également elles ont été gazées comme les premières.

Le transfert vers Ravensbrück:

Nous avons été mises en quarantaine avant de quitter Auschwitz. Nous avons été dix mois 10 en quarantaine, du 15 juillet 1943, oui, jusqu'en mai 1944, et puis nous sommes retournées pendant deux mois dans le camp, et ensuite, nous, toutes les Françaises survivantes de notre convoi, sommes parties pour Ravensbrück.
Nous avons appris par des Juives arrivées de France vers juillet 1944 qu'une grande campagne avait été faite à la radio de Londres où l'on parlait de notre transport en citant May Politzer, Danielle Casanova, Hélène Solomon-Langevin, et moi-même, et à la suite de cela nous savons que des ordres ont été donnés de Berlin de mettre ce transport de Françaises en de meilleures conditions.

Or, durant cette période, il y a eu une politique de libération des détenues de droit commun, et des asociales allemandes, pour les envoyer comme main-d'oeuvre dans les usines d'Allemagne.

Il est donc impossible d'imaginer que, dans toute l'Allemagne, on pouvait ignorer qu'il y avait des camps de concentration, et ce qui s'y passait, puisque ces femmes sortaient de là, et qu'il est difficile de croire qu'elles n'ont jamais parlé.

D'autre part, dans les usines où travaillaient les détenues, les Vorarbeiterinnen, c'est-à-dire les contremaîtresses, étaient des civiles allemandes qui étaient en contact avec le détenues, et qui pouvaient leur parler. Les Aufecherinnen d'Auschwitz, qui sont venues après chez Siemens, à Ravensbrück, comme Aufscherinnen étaient d'anciennes travailleuses libres de chez Siemens, à Berlin, et elles se sont retrouvées avec les contremaîtresses qu'elles avaient connues à Berlin. Elles leur racontaient devant nous ce qu'elles avaient vu-à Auschwitz. On ne peut donc pas croire qu'on ne savait pas en Allemagne ce qui se passait dans les camps de concentration.

Nous avons donc été en quarantaine. C'était un bloc situé en face du camp, à l'extérieur des fils de fer barbelés. Je dois dire que nous n’aurions pas survécu dix-huit mois de cette vie, si nous n'avions pas eu ces dix mois de quarantaine. Cette quarantaine était faite parce que le typhus exan- thématique régnait à Auschwitz. On ne pouvait quitter le camp soit pour être libérée ou transférée dans un autre camp, soit pour aller au Tribunal, qu'après avoir passé quinze jours en quarantaine, ces quinze jours étant la durée d'incubation du typhus exanthématique. Aussi, dès que les papiers arrivaient, annonçant qu'une détenue serait probablement libérée, on l'envoyait en quarantaine, où elle restait jusqu'à ce que l'ordre de libération soit signé. C'était parfois plusieurs mois, et au minimum quinze jours.

Lorsque nous avons quitté Auschwitz, nous n'en croyions pas nos yeux, et nous avions le coeur très serré en voyant le petit groupe que nous étions devenues, par rapport au groupe de 230 qui étaient entrées dix-huit mois plus tôt. Mais nous avions l'impression de sortir de l'enfer, et pour la première fois un espoir de vivre et de revoir le monde nous était donné..

RAVENSBRUCK

En sortant d'Auschwitz, nous avons été envoyées à Ravensbrück. Là, nous avons été conduites au bloc des N.N, Nacht und Nebel, c'est-à-dire. « le secret ».
Dans ce bloc, avec nous, il y avait des Polonaises, portant le matricule 7.000 et quelques qu'on appelait les « lapins » parce qu'elles avaient servi de cobayes.

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On choisissait dans leurs transports des jeunes filles ayant les jambes bien droites, et étant elles-mêmes bien saines, et on leur faisait subir des opérations. A certaines, on a enlevé des parties d'os dans les jambes, à d'autres on a fait des injections, mais je ne saurais pas dire de quoi.

Il y avait, parmi les opérées, une grande mortalité. Aussi les autres, quand on est venu les chercher pour les opérer, ont-elles refusé de se rendre au « Revier». On les a conduites de force au cachot, et c'est là que le professeur venu de Berlin les opérait, en uniforme, sans prendre aucune précaution aseptique, sans mettre de blouse, ni se laver les mains.

Il y a des survivantes de ces « lapins », elles souffrent encore énormément maintenant. Elles ont encore, par périodes, des suppurations, et comme on ne sait pas quels traitements elles ont subis, il est très difficile de les guérir.

.....

Dans le bloc 32, où nous étions, il y avait également des prisonnières de guerre russes qui avaient refusé de travailler volontairement dans les usines de munitions.

Elles avaient été conduites à Ravensbrück pour cette raison. Comme elles continuaient à refuser, on leur a fait subir toutes sortes de brimades ; telles que de les laisser debout devant le bloc toute la journée sans manger.

Une partie a été envoyée en transport à Barth. Une autre a été employée pour porter les bidons dans le camp. Il y avait également, au Strafblock et au Bunker, des détenues ayant refusé de travailler pour les usines de guerre.

Il y a eu également des exécutions dans le camp. On appelait les numéros à l'appel du matin, puis elles partaient à la Kommandantur, et on ne les revoyait, pas.

Quelques jours après, les Vêtements redescendaient à l'Effektenkammer, où l'on gardait les habits des détenues, et au bout d'un certain temps, leurs fiches disparaissaient des fichiers du camp.

Le Travail :

...A Ravensbrück...le rendement jouait un grand rôle. C'était un camp de triage. Quand des transports arrivaient à Ravensbrück, ils étaient expédiés très rapidement, soit dans des usines de munitions, soit dans des poudreries, soit pour faire des terrains d'aviation, et les derniers temps pour creuser des tranchées.

Le départ dans les usines se pratiquait de la façon suivante : les industriels ou leurs contremaîtres ou leurs responsables venaient eux-mêmes, accompagnés des SS pour choisir et sélectionner. On avait l'impression d'un marché d'esclaves : ils tâtaient les muscles, regardaient la bonne mine, puis ils faisaient leur choix. Ensuite, on passait devant le médecin déshabillée, et il était décidé si on était apte ou non à partir au travail dans les usines. Les derniers temps, la visite au médecin n'était plus que “pro forma” car on prenait n'importe qui.

Le travail était exténuant, surtout à cause du manque de nourriture et de sommeil, puisqu'en plus de douze heures effectives de travail, il fallait faire l'appel le matin et le soir. A Ravensbrück même, il y avait l'usine Siemens où on fabriquait du matériel téléphonique, et des instruments pour la radio des avions.
Puis, il y avait des ateliers à l'intérieur du camp, ateliers de camouflage, d'uniformes et de différents ustensiles utilisés par les soldats.

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Dans l’atelier du camp qu'on appelait Schneiderei, on fabriquait deux cents vestes ou pantalons par jour.

Il y avait deux équipes, une de jour et une de nuit, douze heures de travail par équipe. L'équipe de nuit, au début, à minuit, lorsque la norme était atteinte, mais dans ce cas seulement, touchait une mince tartine de pain. Par la suite, cela a été supprimé.

Le travail était à une cadence effrénée, les détenues ne pouvaient même pas se rendre au lavabo. Pendant la nuit et pendant le jour elles étaient effroyablement battues, tant par les SS femmes que par les hommes, pour une aiguille cassée, parce que le fil était de mauvaise qualité, parce que la machine s'arrêtait, ou tout simplement parce qu'elles avaient une tête qui ne plaisait pas à ces messieurs ou à ces dames.

Vers la fin de la nuit, on voyait qu'elles étaient si épuisées que chaque effort leur coûtait. La sueur leur perlait au front. Elles ne voyaient presque plus clair. Quand la norme n'était pas atteinte, le Chef de l'atelier, Binder, se précipitait et battait à tour de bras l'une après l'autre toute la rangée de la chaîne, ce qui fait que les dernières attendaient pétrifiées de terreur que leur tour arrive.

Jusqu’à l’extermination dans le “ Jugendlager”:

Quand on voulait aller au « Revier » il fallait avoir l'autorisation des SS, qui la donnaient rarement, et même dans ce cas, si le médecin donnait une dispense de travail de quelques jours, il arrivait couramment que les SS viennent rechercher la malade dans son lit pour la remettre à sa machine. L'atmosphère était effroyable, parce qu'à cause de « l'occultation », la nuit, on ne pouvait pas ouvrir les fenêtres. Alors, six cents femmes travaillaient pendant douze heures sans aucune ventilation. Toutes celles qui travaillaient à la Schneiderei devenaient squelettiques ; au bout de quelques mois, elles commençaient à tousser, leur vue baissait, elles avaient des tics nerveux, causés par la peur des coups.

Je connais bien les conditions de cet atelier, car ma petite amie Marie Rubiano, une petite Française qui venait de passer trois ans à la prison de Kottbus, en arrivant à Ravensbrück avait été envoyée à la Schneiderei et chaque soir, elle me racontait son martyre.

Un jour, épuisée, elle a obtenu d'aller au « Revier » et comme, ce jour-là, la « schwester » allemande Erica était de moins mauvaise humeur que de coutume, on l'a passée à la radio. Les deux poumons étant atteints très gravement, elle a été envoyée à l'horrible bloc des tuberculeuses. Ce bloc était particulièrement effroyable, parce que les tuberculeuses n'étant pas considérées comme main-d'oeuvre récupérable, on ne les soignait pas, et il n'y avait même pas de personnel assez nombreux pour les laver. Il n'y avait pour ainsi dire pas de médicaments.

La petite Marie a été mise dans la chambre des bacillaires, c'est-à-dire avec celles qu'on considérait comme perdues. Elle y a passé quelques semaines, et elle n'avait même plus le courage de lutter pour vivre. Il faut dire que l'atmosphère de cette salle était particulièrement déprimante.

Elles étaient très nombreuses, plusieurs par lit, dans des lits de trois étages, dans une atmosphère surchauffée, couchées entre détenues de différentes nationalités, ce qui faisait qu'elles ne pouvaient même pas se parler entre elles. Aussi, le silence de cette antichambre de la mort n'était-il coupé que par les glapissements des asociales allemandes qui faisaient le service, et de temps en temps par le sanglot étouffé d'une petite fille qui pensait à sa mère, à son pays qu'elle ne reverrait jamais.

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Pourtant, Marie Rubiano ne mourait pas assez vite au gré des SS.

Un jour le Dr -Winkelmarm, le spécialiste des sélections à Ravensbrück, l'a inscrite sur la liste noire, et le 9 février 1945, avec soixante-douze autres. Il a fait passer dans les blocs un ordre disant que les vieilles femmes et les malades qui ne pouvaient pas travailler devaient se faire inscrire pour le Jugendlager où elles seraient beaucoup mieux, où elles ne travailleraient pas et où il n'y aurait pas d'appel .

Nous avons su, par la suite, par des employés qui travaillaient au Jugendlager, dont la chef de camp, une Autrichienne que je connaissais depuis Auschwitz, nommée Betty Wenz, et par les quelques survivantes dont Irène Ottelard, une Française habitant Drancy, 17, rue de la Liberté, qui a été rapatriée en même temps que moi et que j'avais soignée après la libération, et par elles nous avons eu des détails sur le Jugendlager.

Au Jugendlager, les vieilles femmes et les malades qui étaient parties de notre camp ont été mises dans des blocs où il n'y avait pas d'eau et pas de commodités, sur des paillasses par terre, si serrées qu'on ne pouvait pas passer entre elles, ce qui faisait que, la nuit, on ne pouvait pas dormir à cause du va-et-vient et que les détenues se souillaient les unes les autres en passant.

Les paillasses étaient pourries et pullulaient de poux . Les détenues qui pouvaient se tenir debout faisaient l'appel pendant plusieurs heures jusqu'à ce qu'elles s'écroulent.

Au mois de février, on leur a retiré leurs manteaux et elles ont continué à faire l'appel dehors, ce qui a beaucoup augmenté la mortalité. Elles ne recevaient, comme nourriture, qu'une mince tranche de pain et un demi-quart de soupe au rutabaga et comme boisson, pour 24 heures, un demi-quart de tisane. Elles n'avaient pas d'eau pour se laver, pour boire ou pour laver leurs gamelles.

Il y avait au Jugendlager également un Revier où l'on mettait toutes celles qui ne pouvaient pas se tenir debout. Pendant les appels, périodiquement, l'Aufscherin choisissait des détenues que l'on déshabillait en ne leur laissant que leur chemise.

On leur rendait leur manteau pour monter en camion et elles partaient pour les gaz . Quelques jours après, les manteaux revenaient à la Kammer, c'est-à-dire l'entrepôt de vêtements, et les fiches étaient marquées Mittwerda. Les détenues qui travaillaient aux fichiers nous ont dit que Mittwerda n'existait pas et que c'était une nomenclature pour les gaz.

Au « Revier », on distribuait périodiquement de la poudre blanche et les malades mouraient comme celles du bloc 10 dont j'ai parlé tout à l'heure.

Le convoi de juives hongroises arrivées pendant l’hiver 1944.

Lors de l’'arrivée à Ravensbrück, pendant l'hiver 1944, des Juives hongroises qui avaient été arrêtées en masse.
Il n'y avait plus de place dans les blocs, les détenues couchaient déjà à quatre par lit. Alors il a été dressé au milieu du camp une grande tente. Dans cette tente, on avait mis de la paille, et les détenues hongroises ont été conduites sous cette tente.

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Elles étaient dans un état effroyable. Il y avait énormément de pieds gelés, parce qu'elles avaient été évacuées de Budapest et avaient fait une grande partie du trajet à pied dans la neige. II en était mort un grand nombre en route.

Celles qui sont arrivées d’ Auschwitz ont donc été conduites sous cette tente et là, il en mourait énormément. Tous les jours, une équipe venait rechercher les cadavres sous la tente. Un jour, en revenant à mon bloc, qui était voisin, pendant le nettoyage.... en passant devant la tente, au moment où on la nettoyait, j'ai vu un tas de fumier, qui fumait, et tout d'un coup, j'ai réalisé que c'était du fumier humain, car les malheureuses n'avaient plus la force de se traîner jusqu'aux lieux d'aisance. Elles pourrissaient donc dans cette saleté.

L’encadrement du camp :

Les gardiens de ces camps, au début, c'étaient uniquement des SS. A partir du printemps 1944, les jeunes SS, dans beaucoup de compagnies, ont été remplacés par des vieux de la Wehrmacht. A Auschwitz, et également à Ravensbrück, nous avons été gardées par des soldats de la Wehrmacht, à partir de 1944.
[ Selon moi], puisque nous étions gardées également par la Wehrmacht, cela ne pouvait pas être sans ordres.

[ De même] Les médecins SS qui procédaient aux sélections agissaient-ils de leur propre mouvement ou conformément à des ordres reçus puisque l'un d'eux, le Dr Lukas, ayant refusé de participer aux sélections; a été retiré du camp et on a envoyé de Berlin le D" Winkelmann à sa place. C'est lui qui l'a dit en s'en allant à la chef du bloc I0 et à la doctoresse Louise Leporz.

Le camp des hommes :

Lorsque les Allemands sont partis, ils ont laissé 2.000 malades femmes et un certain nombre de volontaires, dont moi-même, pour les soigner.
Ils nous ont laissées sans eau et sans lumière. Heureusement, les Russes sont arrivés le lendemain et nous avons donc pu aller jusqu'au camp des hommes et là nous avons vu un spectacle indescriptible.

Ils étaient depuis cinq jours sans eau, il y avait huit cents malades graves, trois médecins et sept infirmiers qui n'arrivaient pas à retirer les morts de parmi les malades. Nous avons pu, grâce à l'Armée Rouge, transporter ces malades dans des blocs propres et leur donner des soins et de la nourriture, mais, malheureusement, je ne puis donner les chiffres que pour les Français : il y en avait 1000 quand nous avons trouvé le camp et il n'y en a que 150 qui ont pu regagner la France. Pour les autres, il était trop tard, malgré les soins...

Survivre :

Il est difficile de donner une idée juste des camps de concentration quand on n'y a pas été soi- même, parce qu'on ne peut que citer des exemples d'horreur, mais on ne peut donner l'impression de cette lente monotonie.

Et quand on demande qu'est-ce qui était le pire, il est impossible de répondre, parce que tout était atroce : c'est atroce de mourir de faim, de mourir de soif, d'être malade, de voir mourir autour de soi toutes ses compagnes sans rien pouvoir faire, de penser à ses enfants, à son pays qu'on ne reverra pas, et, par moments, nous nous demandions nous-mêmes si ce n'était pas un cauchemar, tellement cette vie nous semblait irréelle dans son horreur.

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Nous n'avions qu'une volonté pendant des semaines, des mois et des années, c'était de sortir à quelques-unes vivantes pour pouvoir dire au monde ce que c'est que les bagnes nazis : partout, à Auschwitz comme à Ravensbrück, et les compagnes qui sont allées dans d'autres camps rapportent la même chose, cette volonté systématique et implacable d'utiliser les hommes comme des esclaves et, quand ils ne peuvent plus travailler, les tuer.”

Extraits de l’ouvrage: Le procès de Nuremberg volume 3 L’accusation française: La politique allemande d’extermination
par Charles Dubost , Adjoint au Délégué du Gouvernement de la République Française , Chapitre III : déportations, camps de concentration ,
pages 86 à 112 déposition de Mme Claude Vaillant- Couturier ( camps d’Auschwitz et de Ravensbrück) N° d’édition :55 dépôt légal : le 20 mai 1947

Quelques indications sur les déportées mentionnées par M.C VAILLANT-COUTURIER dans son témoignage.

Maria ALONSO, matricule 31.778, née le 20.08.1910, morte le 27.02.1943 Elle avait 32 ans .
Danièle CASANOVA, matricule 31.655, née le 09.01.1909, morte le 10.05.1943
Elle avait 34 ans .
Annette EPAUD, matricule 31.724, née le 14.11.1900 à La Rochelle, morte gazée le 22.02.1943
Elle avait 42 ans . Militante communiste, Annette EPAUD tenait un café à La Rochelle, qui servait de quartier général, et de refuge aux responsables FTP de Gironde. Le 28 juillet 1942, à 5 heures du matin, des policiers français et des agents de la Gestapo perquisitionnaient le café d'Annette Epaud. Ils espèraient y trouver Yves Tasset, responsable militaire de la résistance communiste en Charente. Celui-ci était parti à Paris. Mais les policiers découvraient Ferdinand Vincent, ainsi qu'un jeune résistant communiste, Lucien Dufès, abattu par les Allemands en essayant de s'enfuir.
Marie-Thérèse FLEURY, matricule 31.839, née le 21.07.1907, morte le 16.04.1943
Elle avait 36 ans.
Claudine GUERIN, matricule 31.664, née le 01.05.1925, morte le 24.04.1943
Elle avait 18 ans.
Marie POLITZER, matricule 31.680, née le 15.08.1906, morte le 09.03.1943
Elle avait 36 ans.
Hélène SOLOMON, matricule 31.684, née le 25.05.1909. Transférée au KL Ravensbrück, elle décédait à Oranienburg le 22.04.1945
Elle avait 36 ans.
Marie RUBIANO, née le 03.07.1920, elle était déportée le 28.05.1942 de Paris vers la prison de Trèves puis transférée au KL Ravensbrück où elle décédait le 09.02.1945:
elle avait 24 ans .

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